Près d'un siècle après son apparition dans le monde arabe, en Egypte, le cinéma fait ses vrais débuts en Arabie saoudite. En 2005, un jeune réalisateur, Abdallah al-'Ayyaf (عبد الله العياف), a ainsi réalisé un documentaire remarqué. Intitulé Cinéma : 500 km (السينما 500 كم), le film raconte le périple d'un jeune cinéphile de la capitale, Riyad, qui n'hésite pas à se rendre au Bahreïn - 1000 km aller-retour ! - pour voir un film non pas sur son home cinema mais "en vrai", dans une des salles de Manama remplies certains soirs à 80 % de Saoudiens paraît-il !
Soumis à de rudes pressions, un prédicateur très médiatisé, un certain Aîd al-Qarni (Aaidh Algarne عائض القرني) - déjà rencontré tout à la fin d'un précédent billet -, revenait publiquement sur ses déclarations dans le film, déclarations qui laissaient entendre que l'obligation du port du voile (غطاء الوجه en termes techniques) ne faisait pas l'unanimité chez les jurisconsultes musulmans.
Toujours à l'affut d'un investissement intéressant, le richissime prince saoudien Al-Walid Ibn Talal engageait la jeune réalisatrice auprès de sa société Rotana, le plus grand label musical dans le monde arabe, qui possède aussi une division cinéma (en plus de six chaînes musicales et quelques bricoles dans la presse...)
A ce titre, Haïfa Mansour a participé à l'aventure, largement financée par la société Rotana, du premier long métrage de fiction "saoudien". Les guillemets s'imposent en effet car Kayfa al-hal ? (Comment va ?), sorti en 2006, a été tourné aux Emirats par un réalisateur d'origine palestinienne résidant au Canada... Le scénario, dû à des plumes libanaises et égyptiennes, réunit les diverses composantes de la société saoudienne, des plus religieuses aux plus "libérales" avec par exemple Sultan, un des héros de l'histoire, vedette (dans le film) du jeu télévisé Star Academy et amoureux de Sahar, la soeur du très religieux Khaled...
Depuis, les films se succèdent et trois longs métrages de fiction sont ainsi attendus en 2008 selon Mamdûh Salem, organisateur à Jeddah, en juillet 2006, d'un "festival des présentations visuelles" (مهرجان العروض المرئية), ainsi nommé pour éviter de choquer avec un mot aussi sensible que "cinéma" comme le rappelle le blogueur saoudien d'où a été tirée la photo en tête de ce billet !
Clairement, les choses sont désormais en route et les salles qui sont déjà prêtes à fonctionner dans les grands centres commerciaux du pays n'attendent plus pour ouvrir qu'un signe des autorités. Comme le fait remarquer un bon article de Jaafar Umran dans Al-Sharq al-awsat, le plus important est sans doute que l'image a clairement gagné aujourd'hui en légitimité.
C'est bien le terme qui convient puisque c'est en 2005, l'année même de la projection "publique" des premières oeuvres cinématographiques saoudiennes, qu'un tribunal local s'est fondé pour délivrer son verdict sur une photographie : pour la première fois dans l'histoire du pays, l'image n'était plus a priori rejetée comme trompeuse mais devenait au contraire susceptible d'apporter un témoignage véridique.
Une évolution par ailleurs dangereuse à l'heure où le numérique rend les manipulations plus faciles que jamais, mais c'est une autre histoire !
"La preuve par l'image" si l'on veut ! Pour célébrer la journée mondiale de la femme, Wajeha Al-Huwaider a mis sur YouTube cette vidéo où on la voit en train de conduire. Au volant, elle explique qu'il s'agit pour elle de protester en ce jour particulier contre le fait que les femmes n'aient pas ce droit en Arabie saoudite même si certaines d'entre elles contournent allègrement la loi, en particulier dans les endroits peu fréquentés... Avec d'autres femmes, elle a à nouveau envoyé une pétition pour réclamer ce droit et espère bien que lors de la prochaine journée de la femme, cette question, présente depuis les années 1990 tout de même, aura été résolue...
l’arabie politique
textes et photos pascal ménoret
du 1er au 31 mars 2008
mmsh
5, rue du château de l’horloge
aix-en-provence