Sous la pression commune de l'Union Européenne et des marchés, le parlement grec a approuvé il y a désormais huit jours un énième plan de rigueur qui ne règle rien au fond. La malédiction de Sisyphe semble s'être abattue sur le berceau de la démocratie européenne. A moins que plus prosaïquement cette situation ne marque l'avènement de l'Europe des marchands imposée par une Allemagne hégémonique avec le soutien des majorités conservatrices des autres pays membres.
"Je refuse une Europe qui ne serait qu'un marché, une zone de libre-échange sans âme, sans conscience, sans volonté politique, sans dimension sociale. Si c'est vers ça qu'on va, je lance un cri d'alarme." La personne qui en 1998 prononçait ces mots était un certain Jaques Delors. "Le modèle économique européen, ajoutait-il, doit se fonder sur trois principes : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit".
Aujourd'hui seul subsiste le premier principe. Car entre temps l'Union Européenne a bien changé.
Le silence des agneaux. C'est d'institutions européennes désincarnées dont il faut parler. Une situation voulue par les grands Etats qui ont imposé à la tête des institutions des personnalités ectoplasmiques, incapable de donner corps à l'intérêt général. Or l'intérêt européen ne peut être la somme des intérêts de quelques grands Etats. La nature ayant horreur du vide ce sont les banques les grandes gagnantes. A cet égard le silence complice des institutions européennes est assourdissant.
Officiellement pour soulager les tensions aiguës auxquelles étaient soumises les banques de la zone euro, la Banque centrale européenne leur a offert, fin 2011, la possibilité incroyable de bénéficier de lignes de crédits sur trois ans, en quantité illimitée au taux de 1%. Une offre sans contreparties, notamment en termes d'accès au crédit pour les entreprises et particuliers, au moment où les conditions les plus intransigeantes étaient imposées aux Grecs…
489 milliards d'euros ont ainsi été prêtés gratuitement, en un claquement de doigt, à 523 établissements européens dont BNP Paribas. Avec un résultat net de 6 milliards d'euros en 2011, la banque de la rue d'Antin enregistre le plus élevé des résultats annuels des banques européennes et ce, malgré une perte de 3,4 milliards d'euros sur la Grèce, signe qu'il y a du mou chez les banquiers.
Le contraste est saisissant entre des bénéfices indécents d'un côté et les efforts demandés de l'autre. Ainsi, au titre des 325 millions d’euros d’économies supplémentaires demandés à la Grèce,afin d’aboutir à une réduction de 3,3 milliards d’euros des dépenses publiques dès cette année, la mesure phare exigée est la mise en œuvre de la réduction de 22 % des salaires minimums.
Autre mesure très symbolique dans les tuyaux, les impôts à l’avenir pourraient ne plus être collectés par les services des impôts grecs, mais directement par les banques (!), afin de s’assurer des rentrées. Les banques, toujours les banques. Il est temps pour l'Europe de se trouver son Franklin Roosevelt, un homme capable de reprendre la main sur l'oligarchie financière.