Où sont les femmes ?

Par Petistspavs

Je voulais ne plus écrire sur le cinéma pendant un temps, consacrer au moins deux ou trois billets à d'autres thèmes, de façon à restituer à ce blog son caractère généraliste d'antan. Il est vrai que le cinéma prend presque toute la place ici, un peu comme si'l m'occupait à temps plein, alors que non. La musique, la danse, le théâtre, l'internet me soucient également, pour ne rien dire de la sphère purement privée de mon existence, ni d'ailleurs purement publique. Ainsi j'aurais aimé écrire sur les raisons pour lesquelles je n'écris rien touchant à la présidentielle,alors même que j'y consacrais une rubrique entière il y a cinq ans. J'ai en vue (ce qui est plus que "j'aurais aimé écrire") un billet me permettant de m'émerveiller de la liberté d'expression presqu'indécente qu'offre internet aux personnes ayant envie de s'exprimer, mais de me montrer navré de l'usage que certains (beaucoup devrais-je dire) en font, un billet que j'aimerais intituler "bloguer est affaire de morale" (oui, le cinéma, encore), le genre de truc à retombées possibles, du genre : tu risques quoi quand tu pisses en l'air (ou contre le vent, ça le fait aussi) ? Une fois encore, j'aimerais taper sur les Césars et leur sélection centriste. En fait, souvent je commence un post sans lien direct avec le ciné et, paf, impossible de le terminer, pas le temps ou pas assez d'intérêt pour la chose. Ou encore une urgence vient démolir mes velléités de diversification.

Donc, c'est décidé, je me préoccuperai dès que possible d'autres divertissements que le cinéma, mais pas aujourd'hui. Car aujourd'hui (en fait, c'est pas aujourd'hui mercredi 15 février, date à laquelle je commence ce papier, c'est plutôt par les temps qui courent) il se passe au cinéma, c'est à dire qu'il passe dans les cinémas, concomitamment, ce qui m'y passionne le plus et ce qui m'y débecte le plus. En outre, ce n'est pas étranger à mes envies d'étrangler certains internautes qui commentent abondamment l'un et ignorent piteusement l'autre. Donc, voila.

Après Iron Man 1 et 2, voici La dame de fer. Non, ce n'est pas l'épouse de Robert Dacier, curieusement surnommé en France L'homme de fer (inoxydable Raymond Burr en super flic monté sur fauteuil roulant, sort mérité après avoir terrorisé James Stewart, lui-même handicapé dans Fenêtre sur cour, mais c'est une autre histoire), c'est juste Thatcher, dont l'intérêt de déballer la vie insipide et un peu crade de chieftaine scoute mal baisée et se vengeant de ses avanies politico-mondaines honteuses en ruinant la vie des honnêtes gens ne relevait pas de l'évidence. Mais crise de scénario oblige, le ciné ricain friqué déballe les histoires de chiottes des autres pour faire du pognon facile et, évidemment, sans odeur.
Donc, on nous tire la larme en nous montrant Madame Kapo quelques années plus tard, noyée dans le gin et bloquée dans le temps par Captain Heilzeimer. Et on nous vidange les sentiments et le porte-monnaie en nous en mettant plein la vue de l'approche de sa mort dégueulasse (au fait, Thatcher, ça vient ?! on va pouvoir enfin tirer la chasse ?). Le plus dégueulasse, c'est l'utilisation du cinéma pour "humaniser" la dame, pour la rendre quasi-sympathique alors qu'elle peut être au mieux pathétique. Et on fait appel pour ces basses oeuvres à l'actrice à effets la plus ringarde d'Hollywood. On se demande à son propos comment, dans une filmo  enlisée entre le lamentable Out of Africa  et Mamma Mia et semée de bûches, Meryl Streep a trouvé le temps et l'énergie d'être à ce point touchante dans Les routes de Madison. L'effet Clint ?
Pour en finir avec les vieux os marécageux de Thatcher, je dirai juste que ce film qui humanise cette cheffe d'Etat qui n'a rien montré d'humain lorsqu'elle était aux affaires est une mauvaise action. D'ailleurs, après avoir humanisé Thatcher, le cinéma à pognon et gros effets pourrait nous livrer les peines de coeur de Pinochet, les ennuis gastriques d'Idi Amin Dada ou, peut-être, relativiser l'image trop noire d'un Hitler qui a, certes, commis des erreurs, mais a su imposer le plein emploi en Allemagne. Idée : et si Hitler n'était pas mort dans son bunker, s'il vivait des jours pénibles, le corps tressautant au rythme de parkinson, entouré de sa gentille famille propre sous elle, si on embauchait un acteur sympathique, Kad Merad ou Ryan Gosling par exemple, pour l'incarner, on pourrait revisiter l'histoire de manière sympathique et faire un gentil film populaire, cette fois en 3D, en misant non sur l'alzheimer, mais sur l'oubli des spectateurs...


Obsèques de Bobby Sands, une des victimes de la dame de fer

Pour en savoir plus sur Thatcher, voyez plutôt le glaçant Hunger de Steve Mac Queen (2008) avec Michael Fassbender qui retrace, sans démagogie ni facilité, le destin des militants de l'IRA qui, autour de Bobby Sands (1954-1981), ont engagé une grève de la faim et sont morts les uns après les autres (10 en tout) face à l'indifférence de la dame au coeur de ferraille. Ceux qui vont s'émouvoir devant la vieille dame qui perd la boule et ses légumes et asséchant des bouteilles auront peut-être une pensée pour ces jeunes gens sacrifiés.

J'ai l'impression d'avoir passé trop de temps à évoquer ce triste produit du conformisme le plus rance que peut produire la rencontre entre le dollar et la vieille (et toujours perfide ?) Albion. Venons-en à quelque chose de frais, de beau, de neuf, Un monde sans femme de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Laure Calamy et bien d'autres.

Ce film semble né d'un désir. Brac et Macaigne avaient collaboré à un court métrage (diffusé en complément d'Un monde sans femmes) montrant un Macaigne balourd, engoncé dans ses complexes, ses envies et ses renoncements, sympa mais sans plus, se portant au secours d'un cycliste naufragé de la piste, personnage ballot, empressé, mais traînant quelque chose de dérangeant. Le personnage est repris dans un moyen métrage (56 mn), tous traits inquiétants gommés. Sylvain est un brave type, plus qu'un pauvre type, complexé et inapte à agir, mais soulevé par une bonne volonté qui transporterait les montagnes, s'il ne s'agissait, juste, d'accueillir deux aimables touristes du genre féminin dans sa résidence secondaire transformée en gite d'été.
On a un peu trop référencé le style de Brac/Macaigne (il est des acteurs qu'on associe spontanément à la réussite d'un film) en leur faisant porter les costumes de Jacques Rozier et Eric Rohmer. Jean Eustache, un peu aussi. Pourquoi pas, mais les références ne doivent qu'éclairer un film, pas l'écraser. Et Un monde sans femmes tient debout sans béquilles, sans jeu de référencement, sans recherche académique.

Nous sommes en Baie de Somme à la belle saison et des plages aux supermarchés, des bistrots à LA boite de nuit où on s'ennuie à draguer ou à se mettre minable, Guillaume Brac filme les gens comme ils sont, sans héroïsme particulier, sans tare distinctive. Ils sont, cet été là, en équilibre entre un passé qui les plombe et un avenir possible. Ils sont vrais, on les croise tous les jours ici et là sans y faire attention, mais ils portent en eux une vraie densité humaine, une envie d'exister, de croiser le destin qui leur ressemblerait. Cette minuscule histoire de vacances en bord de mer nous touche par la délicatesse de son discours sur les solitudes (les trois personnages centraux sont, chacun à leur manière, très seuls et très en recherche d'une histoire à partager), l'expérience des échecs (les adultes), la crainte du vide possible qui g uette (l'adolescente). Mais le sentiment du tragique est absent, le ton du film est semblable à la couleur du ciel, entre blanc cassé et bleu pâle, jamais noir. Un monde sans femmes est une comédie et on ne peut s'empêcher, entre deux sourires, de se répéter que l'humour est bien la politesse du désespoir.
Dans ce cinéma qui ignore l'esbrouffe et l'effet, on ne sent pas uniquement une proximité avec les personnages, on les aime et on leur souhaite vraiment de réussir dans la recherche du bonheur.
Parmi les atouts de ce film sentimental et concis (56 minutes), deux acteurs complices, Vincent Macaigne et Laure Calamy (photo ci-dessus). La seconde tenait le rôle féminin principal dans Au moins j'aurai laissé un beau cadavre, librement inspiré de Hamlet et présenté au dernier Festival d'Avignon par le premier, également réalisateur de Ce qu'il restera de nous (avec Laure Calamy), Grand Prix du Court-métrage et Prix Télérama au récent Festival de Clermont-Ferrand.

Ce soir là était un soir de chance, et nous avons complété cette séance par Le marin masqué, film pop, routard et sentimental de Sophie Letourneur (la réalisatrice de Ma vie au ranch) avec elle-même et Laetitia Goffi. Ce court (35 mn) en noir et blanc, sait mettre en scène la nostalgie dans un mode drôlatique qui peut évoquer les dernières vacances à Cabourg, votre premier flirt ou un film de Luc Moulet mémorisé pour toujours dans mes gênes, Brigitte et Brigitte sur une rengaine de Dr David (Words don't comme easy) que je n'ose pas vous proposer ici, mais qui vous rappellera votre premier flirt, en vacances au camping de Cabourg.

 Sophie, super ton court, on attend le prochain long, dans pas trop longtemps, j'espère.

N'oubliez pas d'aller au cinéma.

Revoir, samedi, La grande illusion,
film tourné en 1937 mais refait à neuf par Carlotta
fut un merveilleux plaisir partagé. Je vous le souhaite pour bientôt.