Plus de 10 ans après avoir monté à Londres puis à Paris «Ubu Roi», votre première mise en scène, vous revenez cette fois avec sa suite «Ubu enchaîné». Êtes-vous fasciné par ce personnage ?
Oui, c’est vrai. Il y a vingt ans, alors que je menais un travail sur la marionnette, et notamment les très absurdes «Punch and Judy», les «Guignols» traditionnels britanniques, j’étais tombé sur le «Ubu Roi» de Jarry. Je me suis dit, «c’est ça que je veux faire, avec des acteurs, en gardant cet aspect inspiré de la marionnette». Et ça a marché ! Depuis, le personnage d’Ubu a toujours été important pour moi, et je me suis toujours dit qu’un jour j’y reviendrais.
Dans cette suite, Ubu, chassé du trône, décide de se faire esclave, enfermé dans un castelet. Mais pour retomber dans les mêmes travers, soif de pouvoir, pulsions et excès en tous genres...
En effet, il commence là où «Ubu Roi» s’arrêtait, et je l’aborde un peu de la même manière. Avec des acteurs dans leur castelet, et un «gardien» à l’extérieur, une sorte de Monsieur Loyal qui joue les autres rôles. C’est du Jarry tel que j’aime à me l’imaginer, avec ses personnages archétypiques, excessifs, qui nous parlent de nos pulsions, de nos désirs, de l’être humain avec ses failles. Et là, j’ai eu envie de poursuivre cette logique jusqu’au bout, de pousser cette machine jusqu’à ce qu’elle craque, de détruire le castelet pour basculer vers autre chose. Mais chut...
Et pourquoi ce choix d’Eric Cantona?
Il y a un an et demi, je cherchais un acteur pour incarner Ubu, et je l’ai rencontré par hasard, par le jeu des rencontres à la Comédie-Française. J’y avais donné «La Grande Magie», d’Eduardo de Filippo, et la femme d’Eric, Rachida Brakni, sociétaire de la Comédie, l’a emmené voir la pièce, qu’il a aimée. Peu de temps après, elle montait «Face au Paradis» de Nathalie Saugeon, où Eric montait pour la première fois sur scène. Je l’ai vu jouer et j’ai flashé sur lui. Je lui ai proposé le texte de Jarry, et le projet était parti.
Qu’est-ce qu’Eric Cantona apporte à la pièce et à ce personnage de Père Ubu ?
J’aime les acteurs qui donnent d’eux-mêmes. Eric est très travailleur, et très intelligent dans ses observations. Il était à la fois plein d’idées pour l’adaptation et désireux de savoir ce que je voulais de lui. Ca a donc été un vrai plaisir de travailler avec lui. Mais je suis très content de mon choix surtout parce qu’Eric a une présence assez extraordinaire sur le plateau, un instinct pour le spectacle et parce qu’il touche vraiment l’image très personnelle que j’ai d’Ubu.
Plus encore que son oeuvre de jeunesse «Ubu Roi», «Ubu enchaîné» est souvent vu comme un concentré de pataphysique assez confus. C’est pour cette raison que vous avez pris des libertés avec le texte ?
C’est vrai qu’il s’agit d’un texte totalement absurde, qui se joue des codes du théâtre classique. Donc, dans ce cas, j’ai senti qu’il était possible d’en changer l’ordre, de supprimer certaines parties, tout en respectant l’esprit du texte. Mais tout dépend du registre. J’aime bien l’idée de ne pas avoir «un» style dans lequel je serais figé, de devoir toujours trouver quelque chose de nouveau. Même si ce n’est pas confortable, j’aime ce sentiment de n’avoir rien compris au théâtre et de devoir tout recommencer à zéro. •
Recueilli par Sébastien Le Jeune
à l’Olympia d’Arcachon, demain à 20h45, 20-38€.
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