Alors que tout le monde s’accorde à louer de façon dithyrambique la performance d’actrice de Meryl Streep dans La Dame de fer, en croisant fort les doigts pour qu’elle obtienne l’Oscar de la meilleure actrice, nous allons encore jouer les rabat-joie de service et exprimer notre différence.
Oui, Meryl Streep a été une immense actrice, qu’on a adoré dans des films comme Voyage au bout de l’enfer, Le Choix de Sophie, Out of Africa ou Sur la route de Madison, et bien d’autres encore. Et elle l’est encore, même si ces dernières années, elle accepte parfois des rôles dans des productions indignes de son talent…
D’accord, elle réussit à se fondre pleinement dans son personnage, l’ex-Premier Ministre britannique Margaret Thatcher.
Grâce, déjà, au travail des prothésistes et des équipes de maquilleurs, mais aussi par son propre travail, qui a consisté à reprendre les postures et les intonations de celles qui gouverna le Royaume-Uni d’une main de fer (d’où son surnom, et le titre du film) de 1979 à 1990.
Oui, on reconnaît cet effort de mimétisme, comparable aux performances de Marion Cotillard dans La Môme ou de Sylvie Testud dans Sagan, ou encore de celle de Denis Podalydès en Nicolas Sarkozy dans La Conquête, pour rester sur le terrain du portrait politique.
Mais, comme pour ce dernier film, et c’est bien là que le bât blesse, on ne voit que ça… Meryl Streep fait tellement d’efforts pour ressembler à Thatcher qu’elle passe à côté de l’essentiel. Avec sa performance mécanique, assez rigide, elle ne semble jamais en mesure de restituer les différentes facettes de ce personnage ambigu.
Il est vrai que le propos du film n’était pas là. La tâche de l’actrice était de réussir à redonner un peu d’humanité à une femme tellement importante, tellement emblématique d’un style politique, qu’elle était devenue une sorte d’icône désincarnée. Le hic, c’est que son jeu tente outrancièrement de viser la compassion du public. Les effets mélodramatiques sont grossiers et l’émotion ne parvient jamais à affleurer.
A sa décharge, elle n’est absolument pas aidée par la mise en scène, d’une platitude confondante, de Phyllida Lloyd, déjà responsable du calamiteux Mamma mia – déjà l’une des performances les plus ridicules de Meryl Streep- et par un scénario affligeant qui confond biographie et hagiographie.
On peut penser ce que l’on veut de Margaret Thatcher et du bilan de son action à la tête de la Grande-Bretagne. Selon les sensibilités politiques, certains l’admirent profondément et d’autres la haïssent. Mais nul ne peut ignorer qu’elle était une figure controversée, y compris dans son propre camp, dont les choix ont eu de lourdes conséquences économiques, sociales et politiques, tant sur le plan national qu’à l’international.
Dans le scénario d’Abi Morgan, tous les aspects “positifs” du personnage sont soigneusement exposés et lourdement appuyés : l’engagement politique juvénile, la volonté de s’imposer dans un milieu profondément machiste, le courage de prendre des décisions impopulaires et de garder le cap malgré l’hostilité croissante du peuple, la dignité de savoir s’effacer pour s’éviter un camouflet public…
En revanche, tous les aspects “négatifs” du personnages ne sont survolés que très brièvement et minimisés.
A peine la réalisatrice montre-t-elle que Thatcher délaissait sa famille au profit de la vie publique (mais n’est-ce pas le cas de toute personnalité exerçant le pouvoir?) et que la “Dame de fer” pouvait se montrer rude envers ses collaborateurs (ce qui a conduit à sa chute)… Mais pour le reste, c’est très soft…
Le film n’insiste pas assez sur la politique de rigueur brutale qui a été mise en place par le gouvernement Thatcher au cours des années 1980. Oh, on voit bien quelques excités chahuter un peu le véhicule du premier ministre, mais ça ne va pas plus loin. Ceux qui sont trop jeunes pour avoir connu cette période ou qui sont peu au fait de ce qui s’est passé en Angleterre à cette époque-là retiendront du film que Miss Maggie a redressé les finances du royaume.
Mais à quel prix?
Le service public a été complètement dévasté, laissant le champ libre aux sociétés privées qui se sont grassement enrichies. Le revenu moyen des britanniques a sensiblement augmenté au cours de cette décennie (+6%), c’est vrai, mais parce que ce sont les plus riches qui en ont profité, au détriment des classes populaires. Le nombre de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté a plus que doublé (de 8 à 22%!).
Que dire du combat des mineurs et de leur longue grève d’un an, en vain? Thatcher ordonna la fermeture d’une vingtaine de sites, privant des centaines de mineurs de leur emploi et préparant le terrain à la privatisation de l’activité.
Des régions entières se sont ainsi retrouvées sinistrées… Le film n’en parle quasiment pas…
L’action que Thatcher mena contre les syndicats est à peine évoqué, et encore, de façon flatteuse pour la femme politique.
De même, la question irlandaise est abordée de façon extrêmement partiale. Le film évoque bien les raisons qui ont poussé le premier ministre à durcir le ton contre l’IRA : le décès d’Airey Neave, un de ses proches soutiens, victime d’un attentat à la voiture piégé ou l’attentat qui la visa personnellement lors d’un séjour au grand hôtel de Brighton.
En revanche, pas un mot sur les dix prisonniers irlandais décédés des suites de leur grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention et le refus du gouvernement de leur accorder le statut de prisonnier politique. Thatcher connaissait leurs doléances mais s’est montrée inflexible et a refusé de les écouter… Bien fait pour eux, sans doute. Il n’avaient qu’à être dans le camps des “gentils”…
Et ça continue avec la guerre des Malouines…
Le film glorifie la décision de Margaret Thatcher de prendre les armes pour défendre les îles Malouines contre l’assaut de l’armée argentine. Pourquoi pas… Après tout, il faut bien faire respecter son territoire, surtout s’il est menacé par un infâme régime dictatorial, dont la chute sera de surcroît précipitée par cette défaite militaire.
D’accord… Sauf que pour être tout à fait honnête, il aurait fallu parler des liens unissant Mrs Thatcher et un autre dictateur sud-américain, Augusto Pinochet. Le Chili était alors en conflit larvé avec l’Argentine et n’a pas hésité à aider le Royaume-Uni dans cette guerre, en échange d’une neutralité bienveillante à l’égard du régime chilien…
Le Chili partageait d’ailleurs avec la Grande-Bretagne les mêmes idées économiques ultra-libérales, impulsées par l’économiste Milton Friedman… (Des idées qui, si on y réfléchit bien, ont déplacé le pouvoir vers les grands groupes financiers et conduit indirectement à la grande crise économique mondiale que nous traversons aujourd’hui… Mais là n’est pas la question…)
Et était-il vraiment nécessaire d’appuyer ainsi la scène où la “dame de fer” écrit personnellement aux familles des 300 soldats britanniques décédés pendant l’opération pour leur dire sa tristesse en tant que “mère”?
Mais tout le film est ainsi. Un vrai panégyrique. Incomplet, imprécis, partial, malhonnête, cherchant sans cesse à apitoyer le spectateur… Sinon, comment expliquer le choix d’axer la moitié du film autour du personnage déclinant, atteint de démence vasculaire et de troubles de la mémoire? Comment justifier les innombrables apparitions “comiques” d’un mari fantôme (joué par un Jim Broadbent qu’on a connu plus inspiré, lui aussi)?
Quel est le but de tout cela?
Sans vouloir polémiquer inutilement, il nous semble hasardeux, alors que l’économie mondiale – et principalement l’économie européenne – est en pleine récession, de glorifier ainsi une action politique fondée sur la rigueur, l’austérité, la suppression des avantages accordés au salariés et les cadeaux fiscaux aux plus aisés, la souveraineté nationale contre l’Union Européenne sans parler des conséquences sociales de ladite politique.
Cela dit, voyons le côté positif des choses. Si, à cause d’oeuvres aussi lénifiantes que cette Dame de fer passablement oxidée, le Royaume-Uni finit par se lancer dans une nouvelle cure de thatchérisme, alors le cinéma britannique se rebiffera et fera émerger les nouveaux Ken Loach, Mike Leigh, Peter Watkins, Alan Clarke et co…
Quant à Meryl Streep, on ne saurait que trop lui conseiller de mieux choisir les réalisateurs avec lesquels elle collabore. Elle gâche son talent dans des films comme celui-ci…
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The Iron lady
Réalisatrice : Phyllida Lloyd
Avec : Meryl Streep, Jim Broadbent, Olivia Colman, Alexandra Roach, Susan Brown, Anthony Head
Origine : Royaume-Uni, Etats-Unis
Genre : biopic qui ne vaut pas un clou (rouillé)
Durée : 1h44
Date de sortie France : 15/02/2012
Note pour ce film : ●○○○○○
contrepoint critique chez : Excessif
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