Attachez vos ceintures !

Publié le 19 février 2012 par Perce-Neige


Qu’est ce qu’une vie ? Et, surtout, - oh,mon Dieu, oui, surtout -, qu’enreste-t-il quand plus personne, soudain, n’est là pour en témoigner ? Etpuis, sérieusement, les ami-e-s, vous est-il arrivés, à vous, j’insiste…, vous est-il arrivés, à vous, de croire pour de bonà ces histoires, pour le moins abracadabrantes, dont nous accablent le premiergus venu, sur le coup de vingt trois heures et des poussières, dès lors que lesourire mielleux du type en question, légèrement échevelé sur les bords,apparaît benoitement sur l’écran bien décidé, semble-t-il, à vous expliquer, enlong en large et en travers, en quoi consistent précisément les avancées de laconnaissance les plus récentes en matière d’astrophysique, à savoir l’effondrementsilencieux des nuages de matière froide, l’étrange genèse des trous noirs aucœur même des étoiles, l’interminable fusion des galaxies les plus lointaines,les mystérieuses émissions de rayons gamma, voire, si toutefois, à ce stade, vousn’êtes pas encore définitivement écœurés, assommés, voire donc, ce que pourraitbien, mine de rien, signifier, dans notre quotidien le plus concret, la brusque distorsion du temps etl’inversion complète du monde sensible ? Sérieusement…Et d’ailleurs, plus généralement, comment peut-on, sans immédiatement sombrerdans la plus profonde des dépressions, consentir explicitement à cette extravaganteet proprement incroyable théorie, dite du bing bang… Hein ? Oui, comment,au fond, accepter de but en blanc notre misérable et éphémère condition alorsmême que les dimensions physiques denotre monde ne sont qu’hypothèses et habiles constructions de l’esprit ? Surtout,qu’à ce propos, si vous me permettez, comment pourrions nous approcher, et plusencore effectivement confirmer la véritable réalité de la dynamique despulsions, sans même parler de la structuration de l’inconscient dans sesrapports avec les instances du surmoi ? Non, vraiment, sérieux (…), comment peut-on penser –penser, au sens propre du mot – comment peut-on penser tout cela ? Et puis, faut-ilaccepter sans broncher ces obsessions de forclusiondu sens dont Lacan et ses sbires semblent s’être hélas employés à imposer l’évidencedans l’univers intellectuel de la seconde partie du vingtième siècle ? Et commentse résoudre, entre parenthèses, à laisser la planète se réchauffer à toutesberzingue ? Et, dans le même ordre d’idées, ou à peu près, comment secomporter, au jour le jour, avec tousces zozos plus ou moins bien intentionnés, il faut bien le dire, qui lorgnentvers votre jardin avec une avidité non dissimulée, et de plus en plus d’insistance,et se verraient bien, les mecs, ni plus ni moins assis peinards à votre place,à siroter un gin, au bord de la piscine… Putain…Et quant à Hélène, oui, parlons d’elle, quant à Hélène, comment simplementimaginer ce qu’elle a réellement dans la caboche quand elle vous balance dansles gencives que vous n’êtes qu’une ordure de première. Vu qu’elle en a, soidisant, marre de vos frasques. Et de vos, soi disant, propos injurieux. De votre,soi disant, comportement de salaud. Oh, bon Dieu, comment faire pour s’ensortir une fois encore ? Oui, commentfaire, surtout, pour éviter que la discussion ne dégénère sévère et tourne alorsen moins deux à l’affrontement quasi généralisé. Et qu’on en vienne à devoirtout, réellement tout justifier. Laprésence d’une certaine Véronique, à votre bras, l’autre soir. Les drôles d’appelstéléphoniques à une heure du mat. Les débits, un peu excessifs, certes, repérésrécemment par son œil de vipère, sur le compte bancaire... D’accord, d’accord… Parlons d’autre chose, tu veux bien ? Bonsang de bonsoir, de bordel de merde, comment se débrouiller avec ça ? Etbien, nul doute, croyez moi, que Frédéric Flament, dorénavant, aurait largement,oh mon Dieu oui, largement le tempsde ruminer les réponses à toutes ces questions... Et, par parenthèses, àd’autres également, plus personnelles encore, vous pouvez me croire !
Mais en l’espèce, à cette heure là, FrédéricFlament n’est guère en mesure de répondre à grand chose ! Bien qu’on lui braillebrusquement des trucs de dingue à moins de cinq centimètres de l’oreilledroite. Et qu’on en vienne, soudain, à lui attraper le bras sans prendre, jevous assure, beaucoup de précaution. Et qu’on se permette, dans la foulée, delui pincer la cuisse – laquelle,déjà ? - de manière, excusez du peu, de manière com-plè-te-mentcinglée. Non, mais je rêve… En fait, FrédéricFlament, ce jour là, à cet instant-là, très exactement, s’accroche désespérémentà une espèce de saleté d’horrible tissu qu’il malaxe à mort, du bout des doigts,en s’efforçant vaguement de deviner ce dont il s’agit. Puis se défend comme unbeau diable quand, quelque part dans le paysage, on lui travaille gentiment l’épiderme,les veines et les ramifications neurologiques. Oui, Frédéric Flament serétracte alors comme une huitre. Et s’apprête à gesticuler. A se révolter grave.A se fâcher pour de bon. A se lever aussi sec. A tous, oui, même là-bas, dansle fond de la salle, à tous lesenvoyer se faire voir… A refuser, entendez vous bien, à réellement refuser dorénavant d’en supporter davantage.Non, mais, les mecs, ça va bien, là...Pour qui vous prenez vous ? Hein ? Voulez vous me le dire ?Ne serait d’ailleurs pas bien loin, Frédéric Flament, de se foutre carrément en colère. Mais rencontre surtoutle montant froid  de quelque chosequ’il est totalement incapable d’identifier. Hého, du navire, vous m’écoutez un peu ? A peine, en vérité... Certes, Virginie Michonse penche régulièrement vers lui. Se met, alors, authentiquement, quoiquebrièvement, réellement à sa portée. S’approche,oui. Se penche, oui. S’avance un peu plus, oui.Et, surtout, surtout lui murmure. Luiraconte n’importe quoi. Lui susurre une berceuse. Et lui change, peut-être, sescouches, lui donne le biberon, allez savoir, cherche, en tous cas, maladroitementà le rassurer. Surveille tout de même la perf du coin de l’œil. S’inquiète,mais sans le dire, de la sous-clavière presque bancale qui pourrait bien ne passupporter très longtemps la drôle de mixturedont on l’abreuve. Rassemble en moins de deux, pour les garder à portée demain, on ne sait jamais, les ampoules de cardiotonique et toute la panoplied’électrolytes. Evite, on ne sait trop comment mais non sans s’esclaffer exagérément,à chaque virage un peu serré que négocie l’ambulance, de ne pas s’effondrer, illico,de tout son long, sur le client… On a connu ça ! Ouaaaah… Félicite alors, publiquement, Omar, l’as du volant, d’un largeet franc sourire au rétroviseur qu’il conviendrait, tout de même, de ne pastrop trop prendre pour ce qu’il n’estpas. Quoique… Et profite d’une brève accalmie sur le front des intempéries, - super, on est à nouveau en rythme sinusal… -pour suggérer, d’un soupir, à Charles-Antoine Parmentier, le bellâtre, - lequelbellâtre se retrouve, une nouvelle fois, lamentablement coincé dans le fond duvéhicule entre deux obus d’oxygène, - qu’il serait peut-être temps de fêter l’arrivée du printemps, d’une manière oud’une autre, non ? Dans la version soft, il s’agirait juste de réserver une table au Prince de Galles… Sachant que dansla version hot, il s’agirait aussi derenouveler l’expérience du Prince de Galles… jusqu’au bout… Ce à quoi, en vérité, Charles-Antoine Parmentier nes’empresse guère de répondre. Vu qu’il commence salement à se lasser de ce toutce que manigance ma-de-moi-selle Delphine Michon pour peu qu’il ait le dostourné. Et qu’il sait parfaitement ce à quoi elle voudrait parvenir. Et qu’iln’a nulle envie, mais alors nulle envie,mes ami-e-s, d’avoir demain, ou même après demain, ou même plus tard, une espècede moutard sur les bras. Un gnard à torcher, si je puis dire, du matin jusqu’ausoir. Un connard de gamin à qui, pour faire bonne mesure, il aurait à raconterdes histoires, le soir, tout ça pour l’endormir sans trop traîner. Un môme àqui faire des risettes. Des giligilis. Des gulugulus. Des papapapas. Desmamamamas. Des chchchchchch. Des boudouboudousboudous… Non, merci bien Delphine, franchement… Dans tes rêves, oui, mais envrai trop peu pour moi... Si bien qu’il consent à peine, - et ce, en dépit d’une imprévisible et brutale sollicitationhormonale, contemporaine d’un flash back suscité par un discret changement deperspective, à savoir la très légère rotation du buste de Delphine et, par suite,l’accentuation prononcée de son profil, la tendre volupté dont il se remémorel’issue, oui…, - en dépit donc du vertige un peu angoissant qu’accompagneinévitablement le sentiment d’avoir déjàvécu une telle scène, il consent à peine, oui, à peine mais tout de même, à hocherlentement, très lentement, la tête, tout en détournant ostensiblement le regard. Prétextant, sans le dire, une attention unpeu excessive portée au paysage qu’il feint soudain de découvrir, estompé, àtravers la buée de la vitre arrière du véhicule. Une option qui se révèle,d’ailleurs, bougrement intéressante. Vu que l’ambulance traverse à toutespompes la campagne environnante, qui s’avère fleurie au possible, égayée desapins comme ce n’est pas permis, illuminée d’azur éclatant et d’un soleilprintanier, peuplée d’oiseaux et de diverses autres espèces qu’il seraitinutile et tout à fait vain, en vérité, de vouloir recenser. Reste que la contemplation muette d’un paysage,fut-il enchanteur, n’a qu’un temps. Et que bientôt Charles-Antoine Parmentierse résout à planter tout à fait franchement son regard dans celui de DelphineMichon. Et que quelques mois plus tard, à peine plus, ni l’un ni l’autre ne sesouviendront exactement, - car celan’aurait, alors, croyez-moi, plus aucune espèce d’importance…, - de ce qu’elles’était, mine de rien, imprudemment aventurée à lui raconter. Et qu’il nes’agirait pas de répéter à voix haute à n’importe qui et surtout n’importe où.Et dont Frédéric Flament, bizarrement, avait ni une ni deux parfaitement deviné le sens. Au point decroire que c’était, maintenant, à lui de répondre. Et à personne d’autre. Aupoint de porter, à sa bouche, le pli malodorant et rugueux du drap dans lequelOmar, autrefois, l’avait bordé, et tout en rêvant d’embrasser de caresses lefoulard de soie que Véronique portait quand ils s’étaient retrouvés, tout àfait par hasard, juré craché, une bonne dizaine d’années plus tôt, dans lebrouhaha fiévreux d’une salle d’embarquement de l’aéroport de Florence. Aupoint de confondre, en un désir soudain, éperdu, la courbure feutrée de labouche de Delphine, avec d’autres lèvres qu’appelaient d’autres noms, d’autresmurmures, d’autres aveux jamais entendus. Reste que, plus tard, le soleil printanier sefera péniblement estival. Puis lentement automnal. Puis déclinera, peu à peu,sur l’horizon toujours incertain, brumeux, et de manière, croyez moi, affreusementvertigineuse. Reste que de longues, et désolantes, processions de grues sauvagestraverseront, alors, durant des jours, - des jours et des jours,- le ciel souventgris, mais changeant, d’est en ouest, zébrant les cumulonimbus d’un alphabet dela fuite et gémissant, du matin jusqu’au soir, leur lancinant chapelet de plaintesdéchirantes et de cris acérés que l’on eût dit presque humains, presque sortisde la gorge asphyxiée d’un bambin.