Le livre énonce d'emblée, et en raccourci, qui ne peut être que caricatural, le trait dominant de ces trois personnages en quête de sens :
"C'est l'histoire d'un vieux. L'histoire d'une sainte. L'histoire d'un con."
Le vieux, la sainte et le con : ce pourrait être le titre, à la Sergio Leone, de ce livre.
Ces trois personnages qui habitent le même immeuble auraient pu ne pas mêler leur vie et s'ignorer. Le destin et l'auteur en ont décidé autrement. Pour leur plus grand bien et pour le soulagement de ceux qui se seront pris d'empathie pour le trio.
Le vieux, Félix Chaillot, est un artisan de la vieille école, qui rempaille des chaises. Il a un chien - en fait une chienne -, Turbine, qui est sa seule compagnie depuis que sa femme, l'indomptable Mousse Béranger, de son vrai prénom Madeleine, atteinte de la maladie d'Alzheimer, a été placée dans un établissement hospitalier. C'est une compagnie irremplaçable, mais insuffisante. Car leur amour, depuis toujours, à lui et à Mousse, est si fusionnel qu'il ne supporte pas la séparation. Ce ne sont pas en effet leurs deux filles, Solveig et Sonia, qui vivent leur vie, qui peuvent combler cette absence cruelle, dans les deux acceptions du terme.
La sainte, Marie Sauvin, la bien prénommée, est fille de diplomate. Adolescente, elle a fait montre d'un caractère rebelle et a été rejetée d'une école l'autre, pour enfin échouer au Rosey, ce sélectissime collège des bords du Léman, où elle rencontre l'amour de sa vie, Paul Sauvin, et la sérénité. Ils se sont mariés quand deux jumeaux, Eric et Oscar, se sont annoncés. Puis ils ont fait en prime une petite Luce, atteinte de mucoviscidose, qui n'a signalé son existence qu'une fois son papa parti avec une amazone carriériste, prénommée Sophie. Une enfant imprévue, que Marie a décidé de garder, sans jamais le regretter, au grand dam des autres.
Le con, Ben, Benjamin Maurois, est du genre à rater tout ce qu'il fait et à se rendre insupportable, même aux yeux de son associé et ami. Sa femme, Caro, Caroline, ne l'a d'ailleurs un jour plus supporté. Elle est donc partie concubiner avec Pierre en emportant leur fille Lola, qui n'a pas apprécié du tout ce changement de cocon. Son papa a bien fait une tentative pour l'enlever. Mais elle s'est soldée par un accident de moto dont Lola est sortie en morceaux. Cet accident ne lui a pourtant pas ôté l'envie de voir son père. C'est ce dernier qui refuse désormais de la voir et ne veut pas se rendre au point-rencontre prévu dans ces cas-là.
Comme on le voit le trio est mal parti. Les choses ne vont d'ailleurs pas s'améliorer tout au long du récit. Au contraire. Une
fois bien mûres, elles finiront tout de même par aboutir au rebond du trio. Comme quoi, même dans les pires affres, il est toujours possible de trouver une issue heureuse, sinon idéale. C'est
donc un message d'espoir que nous délivre Annick Geinoz, même si, pour le trio, rien ne pourra plus être tout à fait comme avant.
A aucun moment le lecteur n'est tenté de se déprendre de ce livre, qui pourrait s'avérer ennuyeux puisqu'il ne fait que raconter des histoires du genre de celles auxquelles il est confronté aujourd'hui ou qui sont le lot quotidien de son plus proche entourage. Sans doute parce que l'auteur sait très bien se mettre à la place de ses personnages et lui fait connaître les pensées les plus intimes qui les tourmentent et qui répondent peut-être à ses propres interrogations.
Annick Geinoz a su trouver le rythme et le ton justes qui marquent notre époque. Elle fait en sorte que le lecteur ait envie de voir ses personnages se dépêtrer de la situation critique dans laquelle ils se trouvent. Les dénouements de ces histoires personnelles sont plus que vraisemblables, logiques. C'est pourquoi elle répond avec bonheur à cette attente de bonne fin, sans surprise, dans un style émaillé de formules qui parlent à l'imagination et qui utilisent à très bon escient le vocabulaire de notre temps.
Francis Richard