Pour la maire de Lille, le chef de l’Etat n’est pas le « candidat du peuple » mais le
président des « privilégiés ».
Qu’est-ce qui vous frappe dans le début de campagne de Nicolas Sarkozy ?
MARTINE AUBRY. Le contraste avec notre candidat. François Hollande est parti avec du souffle et un cap
clair : redresser la France dans la justice.
Nicolas Sarkozy, lui, commence sa campagne au ras des pâquerettes. Il abuse d’abord de contre-vérités, à l’image de son
slogan, « une France forte », alors qu’il a affaibli le pays. Ensuite, il n’a pas de boussole, si ce n’est de dire « on continue comme avant », avec un triptyque : austérité, précarité et
division des Français. Enfin, il se livre à des attaques contre son adversaire qui ne sont pas dignes d’un président, même sortant.
Les images de Nicolas Sarkozy à Annecy pour son premier déplacement vous ont-elles impressionnée
?
Non, j’ai même ressenti chez lui une certaine lassitude. Il tente d’enfiler le costume de Capitaine Courage. Mais, quand les
erreurs de navigation se multiplient, il vaut mieux changer de capitaine! François Hollande, lui, donne le cap pour redresser le pays : politique industrielle, banque publique d’investissement,
innovation, recherche, formation des salariés, emplois d’avenir et contrats de génération pour mettre le pied à l’étrier aux jeunes.
Le président sortant dit pourtant « avoir appris », notamment avec la crise…
Il ne peut plus dire « j’ai changé » comme en 2007, alors il dit « j’ai appris ». Et pourtant il ne reconnaît pas les
errements de sa politique injuste qui nous a enfoncés dans la récession.
Au dernier trimestre de 2011, la France a enregistré une croissance de 0,2% du PIB, un peu plus qu’en Allemagne. Votre critique de Sarkozy ne confine-t-elle pas à l’obsession
?
Notre économie est au bord de la récession et le président sortant se décerne un satisfecit! Tous les voyants sont au rouge :
au dernier trimestre, 32000 emplois détruits, baisse du pouvoir d’achat, déficit commercial record. Tout cela est dû à une absence de régulation du système financier, aux cadeaux fiscaux et aux
plans d’austérité successifs. Et l’annonce d’une hausse de la TVA va encore accroître les difficultés. Il faut s’attaquer au déficit des comptes publics, mais aussi au déficit de croissance et
d’emplois. Vouloir réduire l’un sans l’autre est une impasse.
Le candidat socialiste est accusé de mentir « matin et soir », notamment sur sa volonté de combattre la
finance…
Ces accusations sont déplacées. Ce gouvernement a plié devant les marchés financiers et les agences de notation. Vous verrez
dans quelques jours les résultats des banques, les stock-options, les bonus… François Hollande, lui, veut s’attaquer aux causes de la crise : il propose de séparer les activités de dépôt et
celles de marché pour que les banques cessent de spéculer avec l’argent des Français et que les projets des PME soient financés. Il défend la création d’une agence de notation européenne, la
lutte contre les paradis fiscaux. Il taxera les revenus du capital à la même hauteur que ceux du travail : c’est cela, la justice!
Nicolas Sarkozy peut-il encore être élu ?
Je ne le sous-estime pas. Mais les Français connaissent ses promesses non tenues et vivent les conséquences de son échec.
Nicolas Sarkozy restera le président de la triple dégradation : sociale, économique et financière. Voilà maintenant qu’il s’autoproclame « candidat du peuple »… A qui fera-t-il croire que ce
n’est pas autre chose qu’un artifice de communication pour faire oublier qu’il incarne le gouvernement des privilégiés, pour les privilégiés et par les privilégiés? A l’inverse, François Hollande
propose le chemin pour retrouver la justice et le progrès : une grande réforme fiscale, une priorité donnée à la jeunesse, l’égalité des salaires femmes-hommes, le droit pour tous les couples au
mariage et à l’adoption…
Etes-vous favorable à un coup de pouce au smic ?
François Hollande, s’il est élu, organisera un sommet social pour débattre de la répartition des fruits d’une croissance que
nous souhaitons relancer. Les questions de l’ampleur du coup de pouce au smic, comme des négociations sur les bas salaires, seront discutées dans ce cadre. Il a déjà annoncé des mesures sur le
pouvoir d’achat, telle l’augmentation de 25% de l’allocation de rentrée scolaire, dès septembre prochain, pour trois millions de familles. Il réduira aussi les dépenses contraintes des ménages en
encadrant les loyers, en fixant des prix de base pour les consommations d’eau, d’électricité et de gaz, et en bloquant le prix de l’essence.
Jean-Luc Mélenchon regrette la timidité du PS sur le pouvoir d’achat, les salaires…
Il y a des mesures immédiates. Mais, pour aller plus loin, il faut créer des richesses. J’ai toujours respecté mes
partenaires. Chacun est responsable de ses propos.
Quand François Hollande affirme qu’il n’existe plus de communistes en France, c’est du respect ?
Les communistes savent très bien que nous avons du respect pour eux. François Hollande a simplement fait, au détour d’une
conversation, le constat factuel qu’il y avait moins de communistes aujourd’hui qu’en 1981.
Etes-vous favorable à un accord de gouvernement avec le PC ?
Nous souhaitons réunir toute la gauche et, au-delà, tous les démocrates et humanistes qui adhèrent à ce que porte François
Hollande. Notre candidat a été clair : si Jean-Luc Mélenchon se retrouve dans notre projet, il est le bienvenu.
Faut-il annuler la dette de la Grèce pour lui permettre de s’en sortir ?
Ce n’est pas la question. En lui infligeant une cure brutale d’austérité, la Grèce s’est enfoncée dans la récession. Sa dette
a explosé et la situation sociale est devenue dramatique. Cette impasse illustre parfaitement l’incohérence de politiques qui ont pour seul objectif l’austérité en oubliant un ressort essentiel :
la croissance. L’exemple grec résonne comme un avertissement. François Hollande a eu raison de taper du poing sur la table pour renégocier le traité européen en préparation en lui ajoutant une
politique de croissance et d’emploi, une vraie taxe sur les transactions financières… M. Sarkozy, en cédant tout à Mme Merkel, fait pencher l’Europe du mauvais côté; François Hollande ramènera le
balancier du bon côté, et il y parviendra d’autant plus que de nombreux pays en Europe sont prêts à le soutenir.
Les députés PS voteront-ils le mécanisme européen de solidarité (MES) débattu mardi à l’Assemblée
?
Nous sommes favorables à ce mécanisme de solidarité qui doit permettre d’accompagner des pays en difficulté. Mais nous
n’acceptons pas que son application soit liée au traité de Mme Merkel et de M. Sarkozy, qui font de l’austérité l’alpha et l’oméga de toute politique. Nous refusons ce chantage. Je suis donc
favorable à l’abstention.
C’est une façon de ne pas rouvrir la fracture au PS entre le « oui » et le « non »…
Pas du tout. Nous disons oui à la solidarité et non à l’austérité. C’est très clair.
« Le Canard enchaîné » affirme que des consignes du PS ont été passées pour que certains maires donnent leurs parrainages à Marine Le Pen. Est-ce exact ?
C’est une fable. J’ai envoyé, très tôt, une circulaire : les parrainages des élus socialistes doivent tous aller à François
Hollande. La démocratie, ce n’est pas du billard à trois bandes : on parraine le candidat que l’on veut voir à l’Elysée. Si un élu socialiste devait apporter sa signature, il s’exclurait de nos
rangs.
50% des supporteurs de François Hollande jugent que vous devez être son Premier ministre en cas de victoire… Ça vous donne des idées ?
Je n’ai jamais couru derrière les fonctions ni les honneurs. Je n’ai qu’un seul objectif : faire élire un président de la
République de gauche le 6 mai. Je suis la première militante, la première supportrice de François Hollande. Mon rôle, c’est que tous les socialistes soient derrière notre candidat, mais surtout
auprès des Français pour leur expliquer le chemin du redressement et convaincre ceux qui doutent encore. La course aux postes est déplacée : un Premier ministre est choisi par le président au
lendemain du second tour, en fonction du message des Français.
Le Parisien