« À quoi aboutissent aujourd’hui tous les produits de l’art, si ce n’est à amuser quelques désœuvrés. Et encore si ça les amusait ; mais ils vous écoutent en bâillant. Misérable siècle qui n’a plus de croyance, ou plutôt qui n’en a qu’une, celle de l’argent. Et qui rabaisse tout à cela. La société est aujourd’hui plus que jamais, une vaste flouerie où chacun cherche à duper son voisin. C’est une guerre organisée dans tout, soit en industrie, soit en science, soit en art. Je suis dégouté de vivre là dedans, mon cher ami. »
Félicien David, Lettre à Sylvain Saint-Étienne, 3 décembre 1839
Le Bord de mer à Palavas, 1854.
Huile sur toile, 37 x 46 cm, Montpellier, Musée Fabre
(Photographie © Musée Fabre / F. Jaulmes)
Félicien David fait partie de ceux dont le nom ne devait sa survie auprès du public, jusqu’à une date récente, que grâce à une œuvre unique ne constituant malheureusement pas forcément la part la plus aboutie ou la plus représentative de sa production. À l’instar de Pachelbel dont l’inusable Canon et Gigue masque un catalogue foisonnant et d’un grand intérêt, l’ode symphonie Le Désert créée rien moins que triomphalement en 1844 lui servait, à elle seule, de viatique pour la postérité, accréditant l’idée que son inspiration relevait essentiellement de l’orientalisme. Certes, il est indéniable que la découverte de l’Orient, de l’Égypte en particulier, a constitué une expérience inoubliable pour le jeune homme, mais il serait faux d’affirmer qu’elle détermine son style à elle seule.
La vocation de Félicien David s’est dessinée très tôt. Il est né à Cadenet, non loin d’Avignon, le 13 avril 1810 dans une
famille musicienne, son orfèvre de père étant également un très bon violoniste amateur. Orphelin en 1815, recueilli par une de ses sœurs, il doit au fait d’avoir pu être admis au sein de la
maîtrise de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence en 1818 de n’avoir pas vu ses belles prédispositions demeurer en friche. Il y apprend, en effet, le chant, le solfège et les rudiments
de la composition avant d’entrer au collège jésuite Saint-Louis où il étudie de 1825 à 1828. Les deux années qui suivent le voient tenir des postes divers, chef d’orchestre assistant au théâtre
d’Aix, clerc d’avoué et finalement maître de chapelle de la cathédrale Saint-Sauveur, avant qu’il se décide à rejoindre le Conservatoire de Paris, où il entre en décembre 1830. Il va y recevoir
l’enseignement, entre autres, de Fétis et Reicha, tout en suivant des cours privés avec Reber. L’année 1831 va marquer un tournant décisif dans son existence, puisqu’il découvre alors la
doctrine saint-simonienne qui prône, entre autres, l’égalité entre les Hommes et une gouvernance des plus compétents au profit du bien commun, et quitte le Conservatoire pour rejoindre le
groupe réuni autour de Prosper Enfantin (dit Père Enfantin, 1796-1864), dont il va devenir le compositeur officiel.
« J’aime à être romantique à la manière de Beethoven et de Weber, c’est-à-dire neuf, original, profond comme eux. »
Cette phrase de Félicien David pourrait, à elle seule, résumer une large partie de ce que l’on ressent en découvrant ses premier et deuxième quatuors, auxquels s’ajoute le mouvement initial
d’un quatrième laissé inachevé, enregistrés par le Quatuor Cambini-Paris. Il faut souligner d’emblée que le compositeur, au rebours de la pensée dominante de son temps, a toujours montré un
réel intérêt pour la musique instrumentale et qu’on chercherait en vain dans la sienne des traces d’orientalisme. À l’image de ceux d’un autre auteur prolifique dans le domaine orchestral et de
chambre, George Onslow (1784-1853), dont la production a peut-être eu une influence non négligeable sur celle de son cadet, ses modèles sont à chercher chez les musiciens germaniques, qu’il
s’agisse de classiques comme Haydn, avec lequel il partage le goût pour des tournures populaires (finales des Quatuors nos 1 et 2) et les effets de surprise
(Allegretto grazioso du Quatuor n°2),
Le Quatuor Cambini-Paris (photographie ci-dessous), réunissant Julien Chauvin et Karine Crocquenoy au violon, Pierre-Éric
Nimylowycz à l’alto et Atsushi Sakaï au violoncelle, nous avait livré un Jadin de la plus belle eau ; il se montre ici tout bonnement étincelant. En l’espace d’une année, les musiciens ont
fait d’incontestables progrès qui leur permettent aujourd’hui de tutoyer l’excellence et de s’inscrire sans pâlir dans la lignée de certains de leurs glorieux aînés, comme le Quatuor Mosaïques.
L’unité et l’écoute mutuelle dont ils font preuve tout au long de cette heure de musique trop vite écoulée leur permet de la porter d’un seul souffle en en rendant chaque mesure palpitante. Il
me semble qu’ils ont énormément travaillé leur son d’ensemble lequel, grâce à un incontestable gain de rondeur et de sensualité qui n’a, pour autant, en rien entamé sa transparence, est
aujourd’hui particulièrement séduisant.
Quatuor Cambini-Paris
1 CD [durée totale : 56’28”] Ambroisie/Naïve AM 206. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Quatuor n°4 en mi mineur :
[I] Allegro ma non troppo
2. Quatuor n°1 en fa mineur :
[III] Scherzo. Allegro
3. Quatuor n°2 en la majeur :
[IV] Allegro risoluto
Des extraits de chaque plage peuvent être écoutés ci-dessous :
Félicien David: Quatuors Nos. 1 2 & 4 | Félicien David par Quatuor Cambini-ParisIllustrations complémentaires :
Charles Albert d’Arnoux, dit Bertall (Paris, 1820-Soyons, 1882), Portrait de Félicien David, c.1865. Photoglyptie sur papier, 31,9 x 24 cm, Strasbourg, Musée d’art moderne et contemporain.
François Bonvin (Paris, 1817-Saint-Germain-en-Laye, 1887), Nature morte aux bésicles, livre et encrier, 1876. Huile sur zinc, 36,2 x 49,3 cm, Londres, National Gallery.
La photographie du Quatuor Cambini-Paris est d’Amélie Tcherniak. Je remercie Blandine Côte de m’avoir autorisé à l’utiliser.
Suggestion d’écoute complémentaire :
Quatuor Mosaïques
Christophe Coin, violoncelle, Jean-Jacques Dünki, piano et pianino, Andrés Gabetta, violon
1 CD [durée totale : 78’29”] Laborie Records LC12. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien et des extraits peuvent en être écoutés ci-dessous :