Le réseau social d'entreprise (RSE) est plus que jamais un sujet à la mode, suscitant des débats toujours passionnés et soulevant tantôt un enthousiasme exagéré, tantôt un dédain absolu. Entre les deux, mais plutôt dans le camp pessimiste, Volvo et (surtout) Renault présentaient leurs retours d'expérience à l'occasion des TechDays de Microsoft et je ne peux résister à la tentation de réagir au compte-rendu qu'en font le Journal du Net et 01net.
En effet, ces deux cas sont parfaitement représentatifs des approches de la plupart des grandes entreprises, dont, bien entendu, les institutions financières. Et les constats de semi-échec, tels qu'ils transparaissent chez les deux constructeurs automobiles, sont légion. A tous ceux qui veulent encore croire que les réseaux sociaux ont un avenir radieux dans leurs organisations, je propose donc d'analyser en détail ces démarches et d'en tirer deux ou trois enseignements (vraiment) utiles.
Avertissement : mes commentaires portent sur les expériences de Renault et Volvo telles qu'elles sont relatées par leurs promoteurs, dans le contexte particulier des TechDays, et telles qu'elles sont retranscrites par les journalistes. Elles peuvent ou non refléter la réalité des initiatives, je suis en tout cas convaincu (et j'ai pu constater à maintes reprises) que les défauts que je souligne ici sont largement répandus.
Pour Renault, le RSE a été introduit comme un support de l'innovation participative, dès 2009. Au début, c'est la technique du "jam" (une sorte de session de remue-méninges collaborative en ligne, sur 3 jours), chère à IBM, qui a été retenue, sur des thèmes choisis par les organisateurs. Après les premiers résultats positifs (bien que non mesurés et perçus comme relativement modestes), une plate-forme Sharepoint a été déployée en 2010 pour "libérer" l'initiative du format contraint des "jams". Nouvelle étape en 2012, la solution de NewsGator viendra enrichir l'ensemble avec une "vraie" gestion de profils, des forums plus riches, un outil de microblogging...
Dans cette courte description, se retrouvent immédiatement les deux principaux écueils, quasi-universels, d'un réseau social d'entreprise (et même, plus généralement, et historiquement, d'une plate-forme collaborative) : des objectifs mal définis et une préoccupation trop technologique.
Concrètement, s'il est absolument possible d'adopter un réseau social pour porter une démarche d'innovation ouverte, à l'inverse, il ne suffit (évidemment) pas de mettre en place une plate-forme de RSE pour que les idées des collaborateurs soient tout à coup, "automagiquement", plus nombreuses, plus pertinentes, mieux élaborées, plus rentables... Quand l'approche générale reste centrée sur un concept de boîte à idées, l'introduction d'un nouvel outil ne la rend pas pour autant "sociale".
Au contraire, pour apporter une quelconque valeur, le réseau social doit être appréhendé par ce qui en fait l'essence, c'est-à-dire la constitution et l'animation de communautés de personnes, rassemblées, de manière plus ou moins lâche, autour d'un centre d'intérêt commun. Ce n'est pas naturellement le cas pour le principe de boîte à idées mais il est tout de même possible de stimuler la "socialisation" autour de l'innovation.
En ce sens, le choix initial d'un format "jam" me semble particulièrement avisé, avec l'idée de créer une discussion ouverte autour d'un sujet donné, d'autant plus que Renault a apparemment pris soin d'assurer le suivi des idées émises, jusqu'à une certaine forme de concrétisation, alors que dans mon expérience de cette technique, l'absence d'un tel prolongement dans le temps constituait justement la frustration principale des participants.
Mais, lorsque le responsable du projet considère que l'approche du "jam" est trop "top down" (les thèmes étant déterminés par les organisateurs), ce qui l'a conduit à adopter une plate-forme plus "libre", je pense que son diagnostic est erroné et que la réponse apportée va entraîner l'initiative dans une spirale de désillusions. Tant que le RSE n'est pas fermement ancré dans la culture d'entreprise, il reste indispensable d'en guider les usages, d'expliciter aux collaborateurs ce qui est attendu de leur part (quitte à leur laisser aussi la liberté de s'écarter des règles), pour instiller la confiance et réduire au maximum les "frictions" de la participation. La phase de familiarisation et d'appropriation est très longue et ne peut être évitée avant d'espérer voir se développer des utilisations plus "spontanées".
De plus, les fonctions ajoutées dans les récentes itérations, comme le micro-blogging et la gestion de profils riches, pour intéressantes qu'elles soient, ne sont pas directement porteuses de valeur réelle pour l'objectif défini. Il faut probablement voir là un effet de l'emballement technologique qui frappe souvent ce type de projets, surtout lorsqu'ils sont pilotés, comme c'est le cas ici, par la DSI.
Au passage, si les besoins sont correctement identifiés et si les objectifs sont clairement fixés, la question lancinante du ROI du réseau social d'entreprise devient beaucoup plus aisée à traiter. Il ne sera peut-être pas possible d'évaluer les coûts et les revenus engendrés mais, au strict minimum, la détermination de cibles à atteindre, qualitatives et quantitatives, fera partie de l'exercice de préparation. Des outils existent aussi, désormais, pour aider à la mesure de l'engagement des participants. Et, comme pour tout projet où subsiste des incertitudes, il ne faudra pas hésiter à l'arrêter ou le ré-évaluer en profondeur si les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous.
Autre thème abordé par les responsables de Renault et Volvo, la "ségrégation" des utilisateurs. Passons rapidement sur l'idée absurde que le RSE serait plus fait pour les cols blancs que les cols bleus ! L'accès à la plate-forme est certainement un frein pour les seconds, à la fois en termes "physiques" (mise à disposition de terminaux) et "logiques" (usages envisagés), mais il serait dommage pour l'entreprise de restreindre arbitrairement le public concerné. Là encore, les objectifs fixés doivent seuls déterminer à qui s'adresse la ou les initiatives.
Plus insidieux est l'argument de l'inévitabilité d'une proportion, plus ou moins élevée, d'utilisateurs non intéressés, qui ne participeront jamais aux communautés. J'écris "insidieux" parce qu'il recouvre une réalité indéniable. Celle-ci est cependant nuancée et peut-être "corrigée" moyennant quelques actions simples. Commençons par évacuer la tarte à la crème du nécessaire "engagement du top management", qui peut certes être utile mais constitue surtout un prétexte facile (par défaut) en cas d'échec. N'est-il pas plus efficace et raisonnable de stimuler la participation en déplaçant des usages existants ? Par exemple, dans le cas où l'objectif fixé s'y prête, un moyen d'encourager la fréquentation est de publier l'information interne de l'entreprise exclusivement sur le RSE (et de l'ouvrir aux discussions).
Un dernier conseil, personnel : j'ai l'habitude de dire, en forçant à peine le trait, que l'outil n'a aucune importance pour le succès d'un réseau social d'entreprise. Cependant, et il ne s'agit pas que de partialité, ce constat ne vaut pas pour Sharepoint. La plate-forme de Microsoft est adapté à bien des usages collaboratifs mais résolument pas à celui-ci. La mise en place d'un RSE est déjà difficile, inutile d'ajouter un obstacle supplémentaire dans les projets...
En synthèse, si vous ne devez retenir qu'une recommandation pour votre prochaine initiative, je ne peux insister suffisamment sur l'importance de commencer par fixer l'objectif que vous souhaitez atteindre. Restez modeste lors de vos premiers pas, choisissez une cible précise et mesurable et ne cherchez pas à créer d'emblée le Facebook de votre entreprise ! Il sera toujours temps d'avancer quand les utilisateurs comprendront, progressivement, leur intérêt à participer.