Le modèle social-démocrate est assez mal pensé par les intellectuels. Tout se passe comme si l’alternative antérieure entre capitalisme et communisme était encore si fortement ancrée dans nos esprits qu’il nous était impossible de penser par-delà cette opposition.
Par Pasm, Bruxelles, Belgique
Étonnement, notre monde, féru d’histoire et d’idéologie, a assez mal pensé son propre modèle social. Les théoriciens de la “deuxième gauche” ont prétendu identifier un “capitalisme avancé” dont on ne sait exactement quand il a commencé à avancer ni ce qui l’a précédé. Quant aux penseurs centristes, ils ont approfondi l’étude de la “démocratie libérale”, incapables de voir que nos démocraties avaient cessés – justement – d’être libérales. Enfin, quelques réflexions éparses sur le “libéralisme politique”, le “capitalisme rhénan”, ou le “modèle républicain” ne sont jamais parvenues à s’instituer en socle théorique général. Tout se passe comme si l’alternative antérieure entre capitalisme et communisme était encore si fortement ancrée dans nos esprits qu’il nous était impossible de penser par-delà cette opposition.
La force intellectuelle du capitalisme et du communisme sont leur organisation autour d’un principe (propriété privée contre lutte des classes). Et si nous avons tellement de mal à penser le système actuel, c’est qu’il ne s’organise pas autour d’un principe, mais autour d’un compromis : ordre social contre gestion politique de la plus-value.
D’une part, on assure aux classes privilégiées le maintien de leur statut et de leurs privilèges. Les velléités révolutionnaires sont contenues par les organisations syndicales elles-mêmes. Les limites à l’activité économique garantissent la stabilité des classes établies se passant, de coopté à coopté, les entreprises déjà existantes. Et, enfin, le développement du salariat permet l’extension du domaine politique à l’ensemble de l’activité productrice. Plus de menaces populaires, plus de nouveaux riches, plus d’entrepreneurs, plus d’hommes libres. La reproduction sociale se fait sans frottement.
D’autre part, l’entreprise cesse d’être privée et se voit frapper d’innombrables réglementations qui détournent la plus-value des actionnaires (shareholders) vers les groupes d’intérêts (stakeholders). La propriété n’est plus garantie et chaque groupe est libre d’accaparer le bien du voisin s’il est capable d’en politiser la demande. Développement des avantages acquis pour les salariés, financement d’une administration pléthorique aux motivations aussi multiples qu’incohérentes, subsides à tout ce que la terre porte de projets généreux et non-rentables.
La stabilité du compromis, et le nécessaire arbitrage entre intérêts divergents, est assuré par des groupes plus ou moins officiels se retrouvant dans des instances plus ou moins discrètes : commissions paritaires, conseils économiques, tables rondes interprofessionnelles, etc. Selon la tradition nationale, le gouvernement aura ou non gardé un peu de pouvoir, mais nulle part, il n’est aujourd’hui capable de diriger sans l’accord des “partenaires sociaux”. Ce sont eux qui ont négocié le compromis social-démocrate, qui le renégocie en permanence, et qui constitue le véritable centre du pouvoir de nos sociétés.
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