Un grand nom de l’aïkido vient de disparaître cette nuit du 14 février, à 23h45 : René VDB, 7ème dan aïkikaï. Il fut l’un de ceux qui a le plus profondément marqué ma pratique. Avec sa disparition ce sont des années de pratique qui remontent à la surface, des souvenirs et beaucoup d’émotion au moment où j’écris ces lignes.
Je rencontrais René VDB pour la première fois il y a exactement 20 ans. Je n’étais pas un pratiquant de son cercle proche, mais pendant 13 ans à Paris, je suivais quasiment tous ces stages. Dire que nous étions proches serait faux. Mais ces nombreux stages à transpirer à côté de lui, à le suivre à Jegun l’été pour des stages intensifs, les rencontres à la Colle sur Loup aussi, ont laissé une trace indéniable dans ma vision et ma pratique de l’aïkido.
Débutant à 24 ans l’aïkido, René VDB fut non seulement un expert de cet art martial, mais aussi en jodo, iaïdo, kendo, kenjutsu et karaté shotokan. Nous avons eu quelques passes de karate ensemble, moi avec mon style d’Okinawa et lui avec son approche japonais. Nous faisions cela brièvement, dans un coin de tatami, en rigolant car nous nous faisions une guerre des mots, chacun cherchant des poux à l’autre très amicalement. Autant vous dire que je ne faisais pas le poids, mais qu’on s’était bien amusé.
En kenjutsu, lorsque j’arrivais à un certain niveau où je commençais (grave erreur) à devenir sûr de moi, il me demanda de l’attaquer sans aucune retenue, avec pour but de lui ouvrir la tête en deux. Je ne me posais jamais la question du bien ou du mal d’un acte dans ma pratique et j’obéissais aveuglément à mes maîtres. Aussi lorsque j’attaquais, il savait que je ne l’épargnerai pas, et je crois même qu’il aimait ça. Face à face, il commença à faire onduler son bokken comme au kendo. Il repoussa deux attaques de ma part, où j’aurai pu le tuer au premier choc, mais il me détourna sans effort apparent, devant les visages blêmes de l’assistance. Sentant sans doute mon état d’esprit résolu, il poussa un kiaï terrible dans mon attaque suivante. Mes deux bras tombèrent sans vie, incapable de lever mon bokken. Ses yeux brillaient et me transperçaient, à l’image que l’on peut se faire de O Senseï en lisant les biographies. VDB c’était ce niveau-là, incroyablement précis et puissant. J’eu la peur de ma vie ce jour-là en sentant le vent du boulet en quelque sorte. Puis le sourire mi narquois, mi amusé que nous lui connaissons tous est revenu sur ses lèvres et il est venu me tapoter l’épaule avec ces mots « Ivan, il faut que tu fasses attention à ta garde mentale». Je n’ai rien compris sur le coup, mais quelle leçon.
VDB était l’un de ces grands professeurs dont personne ne discutait l’autorité, car il était entier, sans tricherie ni dans ses gestes ni dans ses propos. Je l’ai vu remettre à leur place plus d’un ponte de l’establishment de l’aïkido français, mais jamais avoir un mot plus haut que l’autre face à Tamura senseï, sachant parfaitement ce qu’il lui devait et qu’elle était sa place.
Sa technique était terrible et j’ai souvent longuement et douloureusement frottés mes poignets après avoir été son uke, chose fréquente dans ces stages parisiens. Sa petite taille pouvait faire penser qu’il n’aurait pas toujours le dessus sur des grands gabarits, mais je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort et ancré dans le sol. Pour moi, il reste un technicien hors pair, en haut d’une affiche mythique qu’il partageait de temps à autre avec Malcolm Tiki Shewan et Jaff Raji dans des stages extraordinaires de qualité et de niveau. Un peu comme si vous aviez pu assister au concert des 3 ténors de l’opéra (Pavarotti, Carreras et Domingo). Je peux l’avouer, je me suis souvent ennuyé dans les stages de Tamura senseï, sans doute en raison du trop grand monde. Tandis qu’avec ces maîtres-là, jamais. Jaff me faisais transpirer m’apprenant l’indispensable effort de l’éternel recommencement. Tiki me rendait toutes techniques d’aïkido parfaitement lumineuse à travers ses exemples au sabre, et inversement. Enfin René me donnait la dimension implacable de l’art martial et des techniques. Je peux rajouter à cette liste Toshiro Suga qui a su me montrer l’enracinement et me donner l’occasion de tester l’aïkido en combat libre. Mes maîtres.
Je partage la tristesse et le chagrin de tous ceux qui ont connu René VDB, aimé et respecté. J’exprime ici aussi toutes mes condoléances à sa famille et à ses collègues et amis.
A Dieu, monsieur VDB.
PS : La cérémonie funéraire aura lieu le mercredi 2 février à 10h à la maison funéraire du Havre, 66 rue des sports.