Je m'étais fait une joie d'écrire ce billet pour le quatrième anniversaire du blog, qui est aussi le mien (d'anniversaire) rêvant qu'il coïnciderait peut-être avec le millième article. Faut-il multiplier le nombre des années par 7 pour mieux rendre compte de leur poids comme on le fait pour l'âge d'un chien ou d'un chat ? En tout cas, entrer dans la cinquième année, je vous assure que cela ne s'est pas fait d'un claquement de clavier.
Je voulais un billet sensible, qui marque, qui soit un bilan et qui vous fasse plaisir, qui maintienne votre désir de lecture et qui vous récompense de vos visites. Et puis la vie, façon de parler, en a décidé autrement. Un lecteur particulier a disparu, et même si je savais que des milliers d'autres restaient, mon énergie s'est effondrée. Comme si continuer d'écrire était une trahison envers lui qui fut le premier à découvrir les articles, décrocher le téléphone pour les commenter, et surtout encourager, encourager, encourager, jusqu'à ce que le blog ait atteint une vitesse de croisière lui permettant de voguer sans ce carburant quotidien.
La croisière a cessé brutalement de m'amuser.
J'avais encore tout frais à la mémoire les derniers de Vigan, Foenkinos, Blondel, Fontanel, Brisac et compagnie ... Que la compagnie me pardonne, elle comprendra. Il a fallu encore que je me précipite sur le Pas d'inquiétude de Brigitte Giraud et maintenant sur le J'ai réussi à rester en vie de Joyce Carol Oates dont le récit est plus puissant et plus doux à la fois qu'une plaquette de Bromazepan.
Il a fallu aussi que j'alourdisse mon poignet de la montre qu'il m'avait réclamé, l'ayant oublié dans sa précipitation à rejoindre l’hôpital, dans ce service qui lui avait sauvé la vie à trois reprises, et qui sans ménagement estima ce coup là que son cœur était en bout de course et qu'il n'y aurait pas de prolongation à espérer. Trente ans après la première charte d'humanisation de cet hôpital je découvre, effarée, qu'un médecin peut sans sourciller commenter le dossier d'un "patient" -jamais le mot ne fut si juste- en affirmant devant lui qu'après être sorti du coma, le cœur étant désormais stable dans sa médiocrité, le retour à domicile est prévu sous peu, avec une simple prescription de Doliprane et d'un léger anxiolytique ... après avoir déprescrit (j'ignorais le terme jusque là) l'anti-hypertenseur et tous les autres médicaments nécessaires à sa survie depuis dix ans.
Le patient a tenu au-delà de ce qui était pensable mais pas davantage. A nous d'effectuer maintenant le travail de deuil, comme on dit, ne sachant peut-être pas l'origine étymologique du mot qui signifie torture. Rien d'étonnant à ce que le poids de sa montre, qui continue d'avancer de seconde en seconde me soit d'une aide réelle pour accepter tout en maintenant le lien.
Chacun son truc, son rite, pour conjurer, enjamber, passer le cap, rester à flots ... ce vocabulaire marin combiné à la révolte que je ressens me suggère d'illustrer ce texte par la couverture du livre de Maurice Sendak, Max et les maximonstres, avec lequel certains proches verront aussi une allusion personnelle.
Plus surprenant est ce sentiment de culpabilité qui m'a paralysée. Je savais que les rescapés d'un attentat, d'une guerre, d'un grand sinistre, avaient du mal à accepter d'être resté en vie. J'ignorais qu'à une autre échelle, ce malaise pouvait me toucher dans cette circonstance de mort naturelle qui ne l'est pas tant que çà.
Les messages de condoléances ont été suivis de vœux d'anniversaire, venant la plupart de personnes différentes. Se sont ajoutés des coups de fils inquiets suite au silence du blog. Est arrivé par la Poste, alors que je ne m'y attendais pas, la Petite Fêlée aux allumettes, de Nadine Monfils, qui vient de sortir chez Belfond. Moi qui ne suis pas friande de roman policier je me suis surprise à adorer celui-là, à le savourer, à tourner les pages avec délices, à rire du culot de cette écriture qu'on attribuerait à une San Antonio féminine, et à me dire que je discuterais avec plaisir avec cette auteure que j'avais trop vite croisée l'an dernier au Salon du livre.
L'envie de partager cette découverte avec vous m'amène à revenir ici.
J'avais pensé que continuer d'écrire était trahir. J'ai compris qu'arrêter durablement le serait davantage.