Marco Enríquez-Ominami, le "troisième homme" lors de la dernière présidentielle au Chili, a connu une traversée du désert dans la foulée. Il entend bien peser pour les prochaines échéances électorales (photo Anthony Quindroit)
Presque inconnu en 2009, Marco Enríquez-Ominami a fait sensation lors de l’élection présidentielle au Chili. Au premier tour, sans parti derrière lui, il obtient 20% des suffrages et devient le troisième homme, celui qui peut faire basculer le résultat final. En indiquant son intention de vote – pour Frei, le candidat de la Concertatíon – mais en ne donnant pas de ligne directrice à ses électeurs, MEO, comme tout le monde l’appelle au Chili, a semé le doute. S’en est suivi une traversée du désert. Mais, alors que les élections municipales approchent au Chili (octobre 2012) et que la présidentielle se dessine, MEO revient à la charge. Avec, cette fois, un parti qu’il a créé – Los Progresistas (les progressistes), une base qu’il affirme solide, et un programme à la croisée “de l’écologie et de la gauche au sens large”, souligne-t-il, dans un français impeccable.
C’est au siège de son parti, à Providencia, municipalité chic de la périphérie de Santiago, qu’il reçoit. Les locaux sont simples, l’agitation règne. Entre une réunion publique et un débat, MEO m’accueille dans son bureau. Et fait le point.
En France, votre nom n’évoque pas grand-chose. Comment vous présentez-vous ?
Marco Enríquez-Ominami : “J’ai 38 ans, je me suis lancé en politique il y a cinq ans. J’ai créé le parti Los Progresistas qui prône une vision de l’être humain et un monde dans lequel le plus riche aide le moins riche. C’est aussi la rencontre de deux courant : écologie et gauche au sens large.”
Que s’est-il passé après 2009 ?
“J’ai fait 20% au premier tour sans appartenir aux grandes forces. Après, j’avais trois possibilités. Je ne donnais pas de consigne de vote à mes électeurs pour le second tour, j’appelais à l’abstention ou je disais ce que j’allais faire. J’ai expliqué que je votais pour le candidat de la Concertatíon, Eduardo Frei, mais que c’était mon choix personnel et que les personnes qui avaient voté pour moi devaient faire leur propre choix. Cela m’a fait du tort.”
Une traversée du désert ensuite.
“Oui, on peut dire ça. Mais ce que l’on oublie souvent, c’est qu’il y a eu une défaite tout de même ! J’ai perdu ces élections. Et il y a eu le tremblement de terre dans la foulée. Avec mon équipe, on a commencé, nous aussi, le travail de reconstruction. Pendant deux ans, on est allé à la rencontre des gens, on a parcouru tout le pays. On a créé un parti. Finalement, deux ans après, on est remonté. Et si l’on regarde les sondages, on est troisième.”
Comment s’est passée la constitution de votre parti ?
“On n’a pas voulu aller trop vite. Après le tremblement de terre, le pays avait autre chose à faire que de s’intéresser à un nouveau parti politique. Mais quand nous avons lancé la procédure en 2011, nous avons eu 50 000 militants. C’est à dire 50 000 personnes qui sont allées devant un notaire et payé deux dollars – c’est la procédure quand on crée un nouveau parti pour éviter les créations fantaisistes – pour nous rejoindre. J’aspire à être une alternative. Pour les prochaines élections, je suis le seul parti nouveau légalisé. Si les élections municipales avaient lieu demain au Chili, nous aurions 2000 candidats. Je pense que nous en aurons 2600 d’ici l’échéance.”
Vous êtes pourtant peu audible dans les médias.
“Dans la presse, je n’existe plus ici. Mais je ne crains pas le phénomène, ça ne m’angoisse pas. On a été le grand buzz de 2009 au Chili. Et on travaille auprès des gens. On est sur le terrain, on organise des débats, on écoute.”
Briguez-vous un mandat lors des municipales ?
“Non, je suis chef de campagne, pas candidat. Je le serai à la Présidentielle.”
Sur quel programme ?
“Pour les mêmes raisons qu’en 2009. Les réformes politiques à mener – comme passer du système binominal à la proportionnelle – repenser l’éducation pour qu’elle soit publique et républicaine. Il faut aussi une réforme fiscale, avec des impôts à la hausse sur les richesses, le cuivre, les héritages… Cela peut générer 3000 millions de dollars pour financer la sécurité, l’éducation et la santé. Il faut aussi inclure le développement durable dans la politique chilienne. Tout ça, c’était le programme de 2009. Mais il n’y a pas eu de réforme politique depuis. Même s’il se passe des choses. Le vote volontaire par exemple ["Chili et carnets a évoqué le sujet ici, NDLR] : c’était dans mon programme ! Et on m’accusait alors d’être un néolibéral…”
Où vous situez-vous sur l’échiquier de la gauche ?
“Je suis plus à gauche que la Concertatíon. Mais je sais que le marché existe et on ne peut pas le nier. Il va falloir lui rentrer dedans. Pour moi, transports, santé, éducation, logement et retraite, ce doit être l’Etat. Pour le reste, il faut un “marché régulier”. Regardez la Chine, sur les dossiers de croissance : ils sont capitalistes !”
“JE DOIS A LA FRANCE MES VALEURS REPUBLICAINES”
Votre position sur les grands dossiers du moment au Chili : les barrages en Patagonie ?
“Pour moi, c’est non.”
La Bolivie qui demande un accès à l’océan ?
“Il faut leur offrir un chemin dans le cadre d’un accord tripartite avec le Pérou. C’est un choix écologique et stratégique. Mais Evo Morales commet une erreur diplomatique en mettant ce dossier devant le tribunal de La Haye.”
Les impôts ?
“Une hausse sur les royalties du cuivre, les grosses entreprises, l’alcool, les cigarettes. Baisser sur les petites et moyennes entreprises, baisser la TVA sur les produits les plus consommés, sur les livres… Dans notre programme, comme en 2009, on a fait un gros effort pour être très précis dans ce que telle ou telle mesure peut coûter ou rapporter et les liens de cause à effet.”
Le président Piñera a-t-il réussi quelque chose selon vous ?
“Au Chili, c’est une monarchie présidentielle… Il a surtout raté sa métaphore : il voulait être le meilleur ami du Chili. Mais il est plus riche que le candidat républicain aux Etats-Unis… Forcément, ça ne peut pas marcher.”
Les municipales vont faire office de test pour vous. Quel est votre pronostic ? Que se passe-t-il en cas de défaite ?
“Je ne fais pas de pronostic. En 2009, c’était David contre Goliath. 2013, c’est la maturité. Mais avant, donc 2012 et les municipales, c’est sûr que si on est défait, ça va être compliqué.”
Une autre élection se tient en 2012. La présidentielle en France. Et vous êtes franco-chilien.
“J’ai la double nationalité. Parfois, on me l’envoie au visage au Chili, en me disant que je ne suis pas Chilien. Mais la France a été le pays d’accueil de mes parents, mon pays d’accueil. Je dois à la France mes valeurs républicaines. Je suis revenu au Chili en 1986 mais je garde un souvenir idéalisé de la France. Je peux voter en France. Je vais sûrement le faire cette année. Je ne sais pas encore pour qui.”