Un sujet a enflammé la Toile hier après-midi, et jusque très tard dans la soirée: l'action de Gallimard contre Publie.net visant à interdire la vente (et même l'existence, si j'ai bien compris) d'une nouvelle traduction du Vieil homme et la mer que François Bon venait de donner en édition numérique. De cette polémique, vous trouverez des échos un peu partout, où l'éditeur français de Hemingway se fait souvent traiter de "Gallimerde", l'expression étant même devenue un "hashtag" sur Twitter (#Gallimerde).Je vous conseille de lire, sur le sujet, au moins la page qu'y consacre François Bon, Gallimard versus Publie.net, rédigée et augmentée au fil des événements, nourrie d'une grosse colère, et l'article très argumenté d'Hubert Guillaud, Nous n'échapperons pas à reposer la question du droit, qui replace le débat sur des bases solides.Cette question (du droit) est d'autant plus complexe qu'elle ne se résume pas à des règles universelles - en gros, chaque pays fait ce qu'il veut, et désolé si je simplifie déjà en disant cela. Je ne l'aborderai pas, je maîtrise mal ce terrain, et d'autres commentateurs en revanche possèdent les outils pour nous aider à comprendre.En revanche, il est légitime (et pertinent) de s'interroger sur les raisons pour lesquelles seul Jean Dutourd serait habilité à nous transmettre Le vieil homme et la mer en français. La plupart des professionnels reconnaissent qu'une traduction a besoin d'être au moins revue au bout d'un certain temps. Ensuite, chacun juge en fonction de ses préférences.Pour vous permettre, précisément, de juger, voici trois fois le premier paragraphe du roman. Dans sa version originale, dans la traduction de Jean Dutourd et dans celle de François Bon. Qu'en pensez-vous?He was an old man who fished alone in a skiff in the Gulf Stream and he had gone eighty-four days now without taking a fish. In the first forty days a boy had been with him. But after forty days without a fish the boy's parents had told him that the old man was now definitely and finally salao, which is the worst form of unlucky, and the boy had gone at their orders in another boat which caught three good fish the first week. It made the boy sad to see the old man come in each day with his skiff empty and he always went down to help him carry either the coiled lines or the gaff and harpoon and the sail that was furled around the mast. The sail was patched with flour sacks and, furled, it looked like the flag of permanent defeat.Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau qui pêchait au milieu du Gulf Stream. En quatre-vingt-quatre jours, il n’avait pas pris un poisson. Les quarante premiers jours, un jeune garçon l’accompagna; mais au bout de ce temps, les parents du jeune garçon déclarèrent que le vieux était décidément et sans remède salao ce qui veut dire aussi guignard qu’on peut l’être. On embarqua donc le gamin sur un autre bateau, lequel, en une semaine, ramena trois poissons superbes.
Chaque soir le gamin avait la tristesse de voir le vieux rentrer avec sa barque vide. Il ne manquait pas d’aller à sa rencontre et l’aidait à porter les lignes serrées en spirale, la gaffe, le harpon, ou la voile roulée autour du mât. La voile était rapiécée avec de vieux sacs de farine; ainsi repliée, elle figurait le drapeau en berne de la défaite.Le vieil homme pêchait seul dans le Gulf Stream sur son canot depuis quatre-vingt-quatre jours sans avoir pris un poisson. Les quarante premiers jours, le garçon était venu avec lui. Mais après ces quarante jours, les parents du garçon lui avaient dit que le vieil homme était finalement et définitivement salao, ce qui est la pire forme pour dire pas de chance, et selon leurs ordres, le garçon était parti sur un autre bateau, lequel avait pris trois gros poissons la première semaine. Cela le rendait triste, le garçon, de voir le vieil homme revenir chaque soir le canot vide, et toujours il le rejoignait pour l’aider à porter les lignes enroulées, la gaffe, le harpon et la voile ferlée autour du mât. Une voile rapiécée avec des sacs de farine qui pendait ainsi comme le drapeau d’une permanente défaite.