Poésie du samedi, 44 (nouvelle série)
Selon les rites
Il y a les rites, il y a les rythmes.
Nous avons voulu dire les rites eurythmiques
faits de nuances cadencées –
Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu…
Nous avons dit le Verbe… et le Verbe était en Dieu.
Il y a au fond de toute humaine sensibilité des possibilités latentes,
d’embryonnaires eurythmies, mornes ou joyeuses, au fil de l’heure –
Nous avons dit ces eurythmies –
Ce qui explique que nous soyons les latentes possibilités
Si le Verbe est Dieu, le Rythme aussi est Dieu.
Qu’est-ce que l’univers ? un rythme.
Avez-vous parfois observé la danse des astres
avec vos yeux d’hommes ?
Avez-vous regardé l’Amour
avec vos yeux d’hommes ?
Qu’est-ce que l’Amour ? une cadence.
Qu’est-ce que la matière ? une cadence aussi.
Qu’est-ce que l’art ? une cadence.
2. Il y avait autrefois dans la jeunesse de la Terre des hommes qui regardaient avec des yeux d’enfants et qui dansaient en toute ingénuité. –
C’est pourquoi le vieil Oméros devait être vêtu de peaux de bêtes, car il était de nature essentiellement symbolique –
C’est pourquoi Nietzsche a dit : « Je croirais bien en un Dieu mais en un Dieu qui saurait danser. »
Nous avons voulu, recherchant dans sa franchise et sa fraîcheur l’impression des primates nos pères, retrouver par nos rythmes et par nos yeux d’hommes ouverts sur la Vie l’essence même de l’Univers qui est un rythme – et une nuance.
3. Nous sommes la Nuance.
4. Oh ! les éveils premiers fluesçant parmi les pourritures de nos âges mornes.
Un primage dans un lupanar. Un lupanar aussi est une cadence. Et l’homme un symbole –
L’expression vaut-elle mieux que l’idée ?
L’homme vaut-il mieux que la Vie qu’il symbolise ?
Le rythme que le rite ?
Exprimer la Vie en dehors des symboles ? peut-être.
Mais l’exprimer dans les symboles ? peut-être encore… et mieux aussi.
C’est pourquoi nous avons conclu que les symboles sont des choses symboliques
Qu’il faut dire selon les rites eurythmiques.
IL Y EN A QUI SOURIRONT, MAIS CEUX-LA ILS AURONT TORT.
Jean Sarment (pseudonyme de Jean Bellemère (!) Nantes, 1897 – Boulogne-Billancourt, 1976) et Edgar Luc (pseudonyme d’Eugène Hublet, Cholet 1896 – Maricourt 1916) in Ce que les Sârs ont dit… (trilogie rythmique qui est une synthèse), Nantes, juin-juillet 1913. Ce texte a été republié dans l’excellent ouvrage de Michel Carassou, Jacques Vaché et le groupe de Nantes, éditions Jean-Michel Place, 1986.
Ce recueil est la troisième publication, l’année même de leur baccalauréat, de lycéens nantais réunis autour de Jacques Vaché (Lorient, 1895 – Nantes 1919), personnage étonnant dont le dandysme était aussi précoce qu’affiché. Blessé dans les Hurlus en 1915, Vaché rencontrera le jeune interne André Breton à l’hôpital de Nantes où celui-ci l’adouba immédiatement. La relative célébrité littéraire de Jacques Vaché et du « groupe de Nantes » doivent beaucoup à cette rencontre. Séduit par ce jeune surréaliste avant l’heure, André Breton préfacera par la suite les Lettres de guerre de Vaché, qui restent l’essentiel d’une œuvre prometteuse mais trop tôt interrompue par une overdose d’opium qui ressemblait à un suicide…
Ce texte a la verdeur des textes de jeunesse, écrits quand on a dix-sept ans et qu’on n’est pas sérieux… même si ce qu’on écrit est très sérieux, justement ! Et si vous êtes de ceux qui sourient, vous êtes de ceux qui auront tort ! Non mais sans blague… Mais Eugène Hublet qui était alors l’âme du groupe, au moins autant que Vaché, et Jean Sarment à l’aube d’une longue carrière théâtrale, bref, ces deux gamins touchaient juste et posaient de graves questions… Sans doute auraient-ils eu des tas d’idées pour épuiser la question de savoir en quoi, par exemple, la pratique rigoureuse des rituels est-elle indispensable à la transmission initiatique… Mais sans doute pour eux la réponse eut été donnée avec plus d’intuition poétique que de dissertations bavardes ! Du rite, du rythme… et du symbole claquant comme un coup de cymbale ! Défense de rire : les deux gamins ont posé les bonnes questions, ont eu les bonnes intuitions…
Et à chacun de construire sa réponse, selon les rites et selon sa fantaisie…