« Homme libre, toujours tu chériras la mer! »
Charles Baudelaire
Depuis l’affaire de la Princesse de Clèves, on sait que Sarkozy est un lecteur exigeant qui ne se satisfait pas de la littérature de calèche (il n’y avait pas encore de gare en ce temps-là) de Mme de Lafayette. Le digne fils de Jaurès, qui se fait un devoir de pèleriner tous les ans sur le plateau des Glières, ne saurait infliger à ses yeux et à sa pensée rien moins que la pléiade naturaliste de Zola, ou les divagations érudites d’Umberto Eco. N’eut-il vu le jour à Neuilly la munificente, il aurait fait un émule convaincant de Jim Morrison, mais l’atavisme bourgeois l’a heureusement conduit à de plus glorieuses missions.
Et depuis qu’il passe plus de temps dans les bas à varices d’Angela Merkel que dans les rehauts botoxiques de son épouse, il s’est pris de passion pour la patrie de Goethe et de Novalis. Mais plutôt que de méditer sur les souffrances du jeune Werther dans la forêt Noire, animé par l’âme écorchée vive des poètes du Sturm und Drang, il a piqué un concept à un philosophe germanique possédant un goût marqué pour les discours fumeux et le recyclage des sottises idéalistes de Socrate, un penseur dont la vie fut quasiment aussi chiante que ses livres, et que seul Hegel a dépassé dans le verbiage ornemental post-chrétien et nihiliste. Emmanuel Kant, mais je suis sûr que vous l’aviez reconnu, a donc fourni à Sarkozy une excuse pour remettre sa trogne sur des affiches dans le moindre recoin de notre pays qui souffre déjà tant, et les hordes de jeunes UMP, le pullover sur les épaules et le carré Hermès autour du cou, commencent déjà à déferler en vague bleue pour porter la parole présidentielle avec une ferveur dans la platitude qu’on ne retrouve guère que chez les jeunes socialistes.
De même que l’ermite de Königsberg avait investi le monde (qui ne lui avait rien demandé) d’un impératif catégorique confit de moraline et d’universalité, Sarkozy a ressenti une « obligation morale » à se représenter aux élections présidentielles, pour le salut de la France mais sûrement aussi du monde, attendu qu’il a déjà sauvé la Géorgie, la Libye, la Tunisie, le régime des retraites, qu’il a sorti les Champs-Elysées des griffes de la délinquance roumaine, et qu’enfin la valeur-travail n’est plus un vain mot. Il est vrai que tout ce qui est rare est cher, et comme du travail, il n’y en a plus des masses, sa valeur augmente sensiblement. Quand on « va à la rencontre d’un peuple » comme disent tous les candidats, il est bon de se trouver une affiche et un slogan, sans quoi le peuple qui est distrait et n’avait pas remarqué que Sarkozy est président depuis cinq ans, ne le reconnaîtrait pas s’il venait à le croiser. D’autant plus que les cordons de CRS et la modeste taille du candidat n’aide pas le peuple à aller à ladite rencontre. Enfin bref.
Les communicants de l’UMP se sont donc fendus d’une affiche et d’un slogan, et vraiment, on ne regrette pas le suspens intenable qui nous étreignait alors qu’on spéculait sur la candidature ou pas de notre disciple de Platon qui attendait l’avènement du philosophe-roi. On est quand même un peu intrigué: pourquoi cette pose de trois-quarts, même pas les yeux dans les yeux comme on l’attend d’un « candidat de la vérité », et pourquoi ce mystérieux fond marin? J’hésite entre deux interprétations: premièrement, il pourrait s’agir d’une image subliminale à l’attention des électeurs du FN, et qui vise à leur faire faire l’amalgame entre la mer et Marine. Peut-être un peu trop subtil pour le facho moyen, et sûrement tiré par les cheveux (encore que, venant de l’UMP…) mais j’ai la grippe et les médicaments me font halluciner. Deuxième hypothèse plus réaliste, la photo file la métaphore maritime qui est à la mode depuis que Mélanchon a qualifié Hollande de « capitaine de pédalo ». Sarkozy, qui se voit lui aussi en capitaine de vaisseau dans la tempête (on se demande bien qui tenait la barre), essaie de nous faire comprendre que l’infini panorama marin situé dans son dos représente symboliquement l’immense galère que nous allons traverser si son CDD est prolongé, et qu’à moins d’une mutinerie salvatrice, on n’a pas fini de ramer pendant que le capitaine s’arroge le trésor de guerre et les réserves de rhum. Et sans risque d’interpréter, on peut aussi penser que cette ouverture sur le monde a aussi une portée universaliste pour qu’on se rappelle bien que la France est forte, grâce à notre président que le monde nous envie.
Quant au slogan, comme tous les slogans, il réussit l’exploit de masquer la réalité et de cacher le vide sidéral de projet commun. On se demande bien envers qui la France va se montrer forte: contre les immigrés, contre les chômeurs, contre ses partenaires européens et internationaux qui n’ont pas leurs entrées au Reichstag, contre les salauds qui nous font perdre notre triple A en téléchargeant des films et des albums, contre les imbéciles qui refusent la flexibilité du travail et la précarité ou contre les banques, contre les paradis fiscaux, contre les violences policières et celles des pseudo-caïds de banlieue défavorisée ou non, contre l’abrutissement par la publicité, contre les députés racistes et homophobes qui pullulent à l’UMP et qui entretiennent la stratégie du scandale permanent? « Vous c’est l’eau qui vous sépare et vous laisse à part », nous c’est Sarko et ses affidés. Je commence à citer Voulzy, je suis vraiment malade…
Dans un prochain épisode, le parti « Piscine, Murge, Clope et Philosophie » dont je suis le président et qui vise à la proclamation de la République Messine, proposera une affiche représentant Sarkozy sur une planche à bord d’un voilier, les yeux bandés et un sabre dans le dos, et organisera un référendum pour savoir si on le jette à la mer. En espérant que les requins se mangent entre eux.