Les séries s'affranchissent peu à peu de leur cadre traditionnel. De nouveaux modèles économiques sont à inventer ; et internet a sa place dans ces expérimentations. En ce mois de février, une nouvelle étape vient d'être franchie : Netflix et Hulu, deux grandes plates-formes de streaming, marchent sur les plate-bandes des chaînes de télévision classiques en lançant toutes deux leurs premières productions originales : Lilyhammer pour la première, Battleground pour la seconde. Et cela n'est que le début, puisque Netflix a d'autres projets en cours, comme House of Cards.
Lilyhammer, la première du genre, est une série américano-norvégienne, qui a été diffusée tout d'abord en Norvège, sur NRK1, le 25 janvier 2012 (avec un score d'audience impressionnant). Depuis, depuis le 6 février 2012, la fiction est désormais disponible dans son intégralité sur Netflix. La saison 1 comporte 8 épisodes ; une saison 2 a d'ores et déjà été commandée. Si elle pose les premières bases d'une révolution de l'industrie par son origine et son mode de diffusion, Lilyhammer reste une comédie douce-amère très classique sur le clash des cultures. Cependant son pilote n'en est pas moins sympathique.
Frank Tagliano, surnommé "the Fixer", appartient à la mafia new-yorkaise. Mais un conflit avec le nouveau boss de l'organisation le conduit à accepter l'offre des autorités américaines de témoigner dans un procès contre lui. Logiquement, il doit intégrer un programme de protection des témoins, sa vie étant désormais en danger. Or Frank veut quitter les Etats-Unis. Il avait été très marqué par la ville de Lillehammer lorsqu'il avait suivi les Jeux Olympiques de 1994 à la télévision : il demande donc à être envoyé en Norvège.
C'est ainsi qu'un gangster new-yorkais aguerri débarque dans la campagne enneigée scandinave, avec en poche de faux papiers fabriqués par le FBI et quelques économies qui devraient lui permettre de débuter une nouvelle existence. Evidemment, la vie à Lillehammer n'a pas grand chose à voir avec les habitudes quotidiennes qu'avait Frank ; il faut dire qu'on y craint plus le loup rôdeur que le potentiel délinquant. Il va falloir apprendre à s'intégrer, tandis que le rêve de l'Américain est d'ouvrir son propre bar.
Au-delà de ses enjeux linguistiques omniprésents (l'anglais et le norvégien s'entremêlent constamment dans les dialogues) et des vieux réflexes de Frank, prêt à intimider ou à corrompre avec la même aisance qu'il respire, le charme du pilote de Lilyhammer tient beaucoup à la simplicité avec laquelle il entreprend de nous conter les aventures norvégiennes colorées d'un pur new-yorkais. Si l'épisode cède très vite à quelques clins d'oeil incontournables, il le fait avec une douce ironie à laquelle le téléspectateur ne reste pas insensible. Comment résister à cette scène du premier réveil de Frank à Lillehammer au cours de laquelle il découvre, abandonnée devant chez lui, une tête d'animal, écho à une autre tête mythique, celle du cheval du Parrain ? Tandis que le téléspectateur partage l'incrédulité passagère du personnage, la chute qui suit, en découvrant qu'il s'agit simplement de la voisine qui a égaré par mégarde son futur déjeuner, tombe parfaitement.
Cette anecdote est vraiment représentative de la tonalité d'ensemble de ce premier épisode. Sans chercher à innover, Lilyhammer propose un pilote, certes classique dans ses dynamiques, mais sympathique. La série investit pleinement - mais sans paraître pour autant forcée, ou artificielle - ce terrain si bien connu du choc des cultures, toujours prompt à susciter confrontation et décalages improbables. Restant très sobre, avec une retenue qu'on pourrait presque qualifier de scandinave, il s'agit d'une comédie noire, un peu douce-amère, qui dépayse et prête à sourire, et à laquelle on s'attache facilement. Certes, on pourra sans doute reprocher à ce pilote d'exposition son côté par trop convenu, mais il s'agit d'un épisode d'exposition qui remplit sa mission d'introduction. Par la suite, il faudra donc voir si la série est capable de faire preuve de plus d'initiative (et peut-être d'ambition ?) pour exploiter toutes les facettes de son cadre.
Sur la forme, Lilyhammer bénéficie d'une réalisation très classique, capitalisant sur ce ressenti un peu old school. Si l'introduction new yorkaise est expédiée sans chercher à rendre particulièrement crédibles des passages comme la fusillade déterminante du bar, l'arrivée en Norvège permet ensuite à la série de trouver progressivement son style. Tout en restant très simple et sobre, la caméra n'en sait pas moins mettre en valeur le décor enneigé qui sert de cadre à la fiction, offrant un dépaysement garanti au téléspectateur.
Enfin, Lilyhammer rassemble un casting qui sonne très authentique, puisqu'entièrement norvégien à l'exception de l'acteur principal, une tête bien identifiable pour tout sériephile, puisqu'associé à jamais aux séries mafieuses, Steven Van Zandt (The Sopranos), qui est évidemment parfaitement taillé pour ce rôle (et, je l'avoue, sa présence n'a pas été sans éveiller en moi quelque nostalgie). A ses côtés, pour ma première (!) incursion en terres téléphagiques norvégiennes, nous croisons Trond Fausa Aurvåg, Marian Saastad Ottesen, Steinar Sagen, Fridtjov Såheim, Sven Nordin, Anne Krigsvoll, Mikael Aksnes-Pehrson, Kyrre Hellum, Tommy Karlsen Sandum, Greg Canestrari ou encore Tim Ahern.
Bilan : Comédie sombre au parfum scandinave aussi dépaysant que rafraîchissant (dans tous les sens du terme), Lilyhammer propose un pilote de facture très classique, mais qui n'en est pas moins sympathique. Les dynamiques du clash culturel mis en scène fonctionnent, et, sans révolutionner ce terrain familier, on y retrouve toutes les recettes qui ont su faire leur preuve. Pour huit épisodes, on a donc envie de découvrir comment la série va grandir !
NOTE : 6,5/10
Une bande-annonce de la série :