invention des autres jours

Publié le 17 février 2012 par Pjjp44

Les allumettes de sûreté
"Cinquième jour de l'été. La chaleur est là, sur les murs et les visages. Rue du Calvaire, personne ne passe.
Je suis l'homme qui attend l'homme qui allumera ma cigarette. Dans mon sac de toile il y a un livre, un couteau, une couverture noire et un casque de scaphandrier. C'est ce que je possédais avant d'être incarcéré, c'est ce qu'on m'a rendu lorsque je suis sorti de prison. Je n'ai plus d'allumettes, pas de lieu ou dormir. Sur le feuillet  que m'a remis l'administration pénitentiaire, il est écrit que je suis apte à travailler, fin prêt à intégrer la vie civile.
cinquième jour de l'été. Je suis libre de me mêler à la foule ou de m'y soustraire. Si je veux des papiers d'identité, il faut que je me présente à la préfecture de police. Si je veux fumer, il faut que j'attende l'homme qui passera devant moi et allumera ma cigarette;
La chaleur est partout. Le soleil, comme un rond de métal, pèse sur les murs de la ville et irradie les corps qu'il marque de son fer. Flanquée d'immeubles hauts, la rue du Calvaire n'est qu'un passage étroit, tortueux, qui fabrique de l'ombre à toute heure. Gueule ouverte dans le mur, à deux, trois coudées de la marche où je me tiens, un soupirail exhale une fraîcheur terreuse et malodorante, mais cela vaut mieux que le reste. Deux rues plus loin, la foule, les commerces, le soleil lourd et brûlant, les bruits de l'été.
Le mur qui me fait face est hérissé de câbles et de gouttières éventrées. Des fissures dévorent lentement la façade et( permettent le passage de petits animaux . Dans la rue du Calvaire, les portes n'ont plus de numéro. Pourtant au troisième étage, à quelques mètres au-dessus de ma tête, une fenêtre est ouverte. Sur le rebord de la croisée, il y a un oiseau dans une cage. En montant la rue, juste avant de m'asseoir sur cette marche, j'ai entendu le chant de l'oiseau.
Dans la rue du Calvaire, il n'y a pas de commerce, pas de soleil, pas d'allumettes, pas de bruits, pas l'ombre d'un homme qui allumera ma cigarette. Je reste assis là, sur une marche refroidie par les soupirs de la cave. Je fuis le soleil et les foules urbaines; languissant de pouvoir fumer, j'attends. J'attendrai jusqu'à la nuit, jusqu'à ce que l'oiseau chante.
..../...."
-extrait de:  "Invention des autres jours" un roman de Jean-Daniel Dupuy -Editions Attila-
(ce livre m'a été conseillé par Frédérique du "sel des mots")

"Jean-Daniel Dupuy est né à Casablanca en 1973. Son grand-père maternel est un photograveur italien qui s'est arrêté au Maroc sur la route des Etats-Unis; son grand-père paternel est grossiste en pharmacie mais rêvait d'être marchand de vin. il grandit à Montpellier, où il découvre à l'adolescence la littérature grâce à L'Autre Journal, de Michel Butel ; il lit les auteurs russes, hispaniques, anarchistes, et Manchette, Debord, Volodine...
il abandonne à l'hiver 1995 sa maîtrise d'histoire sur "la plaisanterie dans la vie politique à Rome" pour se rapprocher des mouvements sociaux, lancer un journal, Parenthèse,  et créer un spectacle de rue, sur une échelle de la rue de La Loge à Montpellier.
A vingt-cinq ans, il apprend qu'il y a une" pénurie de veilleurs de nuit" à Montpellier. il prend alors un poste dans une maison pour enfants en difficulté et écrit, dès les premiers jours, "Arrière-guerre", une fable sur le conflit au Kosovo.
Depuis, il écrit la nuit, tandis que les enfants dorment... ou viennent partager avec lui leurs tracas, leurs idées et leurs doléances."  source: préface de "Invention des autres jours"

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Rubrique Affichage& revue de Toile   proposée par Anne  Serge et Laure