Le blues des pilotes de ligne
L’intersyndicale du transport aérien souffle le chaud et le froid, commence à se livrer à condition que l’on sache lire entre les lignes tandis que de nombreux pilotes prennent la plume, dans la quasi totalité des cas pour nous dire en termes plus ou moins choisis que «les journalistes peuvent rentrer chez eux». Ce n’est pas inattendu et, en même temps, c’est désolant.
Dans le même temps, le front syndical n’en finit pas de nous étonner dans la mesure où il est dans son rôle mais n’hésite pas pour autant à tordre la réalité. A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse que d’un simple problème de sémantique. D’où une nouvelle tentative de comprendre, d’y voir un peu plus clair, sachant qu’il faudra tôt ou tard sortir de la crise, d’une manière ou d’une autre, de préférence par le haut et sans dommages irréparables.
Le fait est que le récent arrêt de travail de 4 jours d’une part importante des navigants a été très mal perçue par l’opinion publique. Soit qu’elle ait été prise par surprise, soit qu’elle conteste le principe même d’un tel comportement. Mais, quand ils s’expriments, les pilotes le font très indirectement, par communiqués laconiques, une manière de faire qui ne permet évidemment pas d’engager le dialogue. D’où le blocage.
D’un forum à l’autre, notamment ceux des médias, y compris celui d’AeroMorning, on constate l’ampleur du fossé qui s’est creusé. Il rappelle les grandes difficultés des années 80, au cours desquelles pilotes et automates, pour reprendre le vocabulaire de l’époque, cherchaient vainement à parler le même langage. Il est pour le moins difficile d’apporter la contradiction à des pilotes qui s’estiment en position d’accusés : «des gens comme vous nous désignent à la vindicte populaire», nous dit un jeune commandant de bord. Un autre, sans expliciter ses propos pour autant affirme «qu’on voit maintenant pour qui vous écrivez». Un troisième, visiblement très énervé et non moins combatif, nous écrit ceci : «vous ne comprenez rien à la situation, vous êtes ridicule dans votre approche simpliste et totalement illégitime pour écrire sur ma communauté, mon entreprise». Reste à savoir comment les pilotes, qu’ils adhèrent au SNPL ou pas, définissent un journaliste «légitime».
Certains propos venus jusqu’à nous incitent à la réflexion et permettent d’entrevoir de douloureuses blessures. Tel ce correspondant amer qui nous explique que «nous n’avons plus que notre solidarité», l’un de ses collègues affirmant haut et clair «qu’il faut montrer les dents pour être respectés». Ainsi apparaît le blues des pilotes de ligne français et une certaine forme de mal être. C’est à cet aspect du différend qu’il faudrait s’intéresser en priant aimablement le ministre des Transports de s’interdire toute déclaration, tout commentaire.
Rien n’est facile. Ainsi, les grévistes ont bien compris à quel point leur mouvement était impopulaire, malvenu, inaccessible au commun des mortels. Aussi ont-ils choisi de ne pas arrêter à nouveau le travail, après avoir tout d’abord clamé qu’ils n’hésiteraient pas à le faire, même en pleines vacances scolaires. Ce choix aurait pu être compris comme une volonté d’apaisement à utiliser intelligemment. Hélas !, il n’en est rien.
Un nouveau communiqué de l’intersyndicale dit en effet «qu’il a été unanimement décidé de ne pas répondre à la provocation du gouvernement qui, en continuant d’enfermer les syndicats dans son calendrier à marche forcée, aimerait bien un nouveau conflit social se déclencher pendant les vacances scolaires dans le seul but de justifier sa loi». L’énoncé est légèrement bancal mais tout le monde a compris que l’intersyndicale a ainsi résolument tourné le dos à un éventuel apaisement. C’est incontestablement une erreur de stratégie syndicale qui risque de produire de nouveaux dommages collatéraux. Et il ne reste plus qu’à attendre «d’autres types d’actions» qui seraient en préparation.
Dans ces conditions, le blues des uns, le mal être des autres, risquent fort de bientôt céder la place au pessimisme noir.
Pierre Sparaco-AeroMorning