Le monde n’est plus qu’un décor, et en particulier celui de la finance. La campagne électorale bat son plein et les clowns endimanchés ont autre chose à faire que de s’occuper des vrais problèmes. Ainsi le monde bancaire n’est-il qu’un accessoire pratique pour faire avancer ou reculer un candidat dans les sondages. C’est sans doute pourquoi la déroute de l’un des plus grand groupe d’assurance français, Groupama, passe totalement inaperçue.
Et si vous n’en avez pas entendu parler, c’est normal : tout va bien.
Exactement comme pour Dexia qui fut nationalisée dans la discrétion la plus complète de la presse impeccablement occupée à recompter les billets de 100 de leurs dernières subventions, le groupe mutualiste d’assurance s’est retrouvé, en fin d’année dernière, dans une passe si mauvaise qu’il lui a fallu vendre des actifs de toute urgence.
Quelques fugaces articles de presse ont relaté le sauvetage in extremis du groupe par la Caisse des Dépôts et Consignations (c’est l’Etat, donc c’est vous).
En substance, Groupama était engagé jusqu’au cou dans des opérations sur des dettes souveraines, notamment celles de « pays de l’Europe du Sud » comme le relate pudiquement l’article du Figaro (pour ne pas dire que l’assureur était mouillé dans les problèmes grecs jusqu’au cou).
En outre, en décembre 2011, le groupe détient plus de 4% d’actions la Société Générale, achetées à 56 euros pièces, et valant 17 euros à ce moment, et plus de 5% de Veolia (achetés à 28 euros) dont le cours a chuté à 8 euros. La provision de ces dépréciations entame encore la solvabilité de l’assureur au point qu’il risque de passer en dessous de 100% (imposé par la loi). A ceci s’ajoute le passage des activités en cours de revente de leur valeur d’inventaire à leur valeur de marché (décote qui se chiffre au moins à 3.1 milliards d’euros). Bref : on comprend que la situation est franchement tendue lorsque le petit Papa Noël se pointe.
Heureusement, à la suite de l’opération menée par CDC pour récupérer quelques actifs juteux de Groupama histoire de lui faire rentrer dans les clous de la solvabilité, on s’attend à ce que les choses se tassent gentiment.
La fin d’année passe, puis janvier. En février cependant, le groupe prévient : il va lui falloir retarder un tantinet l’arrêté de ses comptes, normalement prévus à la moitié du mois et repoussés cette année fin mars. Eh oui : Groupama est en ce moment encore dans l’attente de l’injection par la CDC de 300 millions d’euros dans sa filiale Gan Eurocourtage… L’assureur attend également l’issue des négociations entre la Grèce et ses créanciers privés (dont il fait judicieusement partie).
Et comme vous l’avez noté dernièrement, la Grèce, c’est pas tip top booming en ce moment : il n’est pas dit que tout le monde y retrouvera ses billes. En réalité, Groupama doit s’attendre, comme d’autres, à un défaut, pardon, une décote de 70% ou plus, sachant que la précédente lui a coûté 1,5 milliard d’euros. Youpi.
Pas étonnant, dès lors, que les ventes continuent, aussi discrètement que possible (ne surtout pas affoler les assurés, les actionnaires, les marchés, les Français). Si les faillites bancaires continuent aux Etats-Unis, en France, il n’y en aura pas !
Je vais donc résumer de façon lapidaire mais en substance, tout ceci pue : le groupe vend actuellement tout ce qu’il peut, racle les fonds de tiroir et serre tous ses sphincters en espérant que la Grèce ne va pas partir en sucette trop vite.
Il va de soi que les dirigeants, les actionnaires et tous ceux qui ont un intérêt de près ou de loin avec le groupe nieront farouchement être dans une situation frôlant la faillite pure et simple avec une précision millimétrique.
De ce point de vue, Groupama illustre parfaitement l’absence d’informations saines des Français et surtout le paradigme indécrottable encore en vigueur dans le pays : l’État va sauver tout et tout le monde. C’est la véritable couche-culotte avec les petits élastique là qui permet de se laisser choir de tout son poids sur ses petites fesses rebondies sans se faire mal puisque, précisément, il sera là pour amortir le choc.L’État-Moltonel permet, finalement, toutes les cascades. Avec lui, c’est le capitalisme sans faillite, le christianisme sans l’Enfer, les droits sans les devoirs mais surtout un couteau sans lame auquel il manque le manche.
Bien évidemment, Groupama est massivement aidé par la puissance publique, l’État français et donc, in fine, l’argent des plus nombreux : les pauvres. Comme de juste, aucun des socialistes, qu’il soit au gouvernement, dans l’opposition, dans les groupies de Hollande ou ceux de Sarkozy, aucun des discours du MélenChé ou de La Marine ne mentionnent cette évidence : on va utiliser des fonds publics pour sauver, une fois encore, des spéculateurs.
Pourtant, il semble nécessaire de se poser la question : si, depuis quelques années que les tourmentes s’accumulent, l’Etat français avait clairement annoncé qu’il n’aiderait personne et s’en était tenu à ça (chose ô combien farfelue, vous en conviendrez), que se serait-il passé ?
Groupama (et les autres : Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, j’en passe …) aurait-il joué sur la dette grecque ? Les banques, les assurances auraient-elles remis deux ou trois ou cinquante milliards dans le bastringue pour le relancer discrètement en attendant d’encaisser de solides bonus ?
Et si l’on s’en était tenu aux principes clairs, simples et basiques du « Tu casses, tu payes » avec l’éventuel passage par la case prison pour ceux des dirigeants qui avaient par trop abusé, croyez-vous que Groupama et ses petits amis auraient vraiment tenté le diable ?
De l’autre côté, si l’État n’avait pas imposé, par exemple, que ces groupes disposent absolument d’obligation d’état (parce que c’est du solide, l’obligation d’état, ça, môssieur), s’il n’avait pas imposé certains instruments au détriment d’autres, les groupes financiers se seraient-ils jetés sur ces aventures chamarrées (mais fort risquées) sachant qu’au moindre pépin, ils en seraient pour leurs frais ?
Et surtout, en quoi l’intervention supplémentaire de l’État (qu’elle soit propulsée par le produit laitier fadasse ou la cocaïne de synthèse d’une France forte) va-t-elle permettre de remédier au problème ? En quoi les mille et unes idées croustillantes que nos clowns pourraient avoir (à commencer par la taxe Tobin) dans le domaine de la finance vont bien pouvoir résoudre ce problème ?
Quelle loi, exactement, faudrait-il ajouter pour rendre les gens responsables de leurs mauvaises opérations ?
Et pourquoi, surtout, sont-ce les affreux libéraux (qui mangent des chatons communistes à chaque petit déjeuner) qui, systématiquement, sont pointés du doigt par de frétillants abrutis élus du peuple, et pas ce ramassis de socialistes interlopes qui n’ont jamais bougé le petit doigt pour dire stop ?