Longtemps fermée sur elle-même et classée parmi les pays peu fréquentables par la communauté internationale, la Birmanie semble désormais engagée sur la voie d’une ouverture démocratique. L’accession au pouvoir du président Thein Sein, en mars 2011, semble augurer une nouvelle ère pour cet État. Depuis peu, on parle d’élections libres, de dialogue politique. Plusieurs signaux sont ainsi émis par les « nouvelles » autorités pour signifier la nouvelle direction prise par la Birmanie. Cependant, au vue de la continuelle emprise des militaires sur le pouvoir politique et le secteur économique, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur la portée réelle de ces « soubresauts » démocratiques ?
La Birmanie ou une des dernières satrapies de notre ère.
L’année 1962 en Birmanie reste celle de l’instauration de la dictature. À la faveur d’un coup d’Etat, les militaires s’accapareront la sphère politique. Ils vont asseoir leurs pouvoirs par la répression de toutes velléités contestataires. La junte au pouvoir utilisera les mêmes méthodes que les satrapies d’autrefois : répression et emprisonnement des hommes politiques, censure et oppression du peuple au fil des années, négation des libertés politiques et économiques. Aussi les arrestations arbitraires et exécutions sommaires agrémenteront le tout. C’est ainsi que le soulèvement populaire de 1988 se soldera par le massacre de près de 3000 personnes.
Quelques années plus tard, le soulèvement des moines ou encore la « révolution safran » pour le décloisonnement des libertés politiques et économiques sera réprimée de la même manière que la révolution de 1988. On dénombrera plus de 200 morts. Si cette dernière révolution ne fera pas bouger le régime en place, elle participera tout même à attirer l’attention sur ce pays recroquevillé sur lui-même.
Les conséquences de cette autarcie politique peuvent être décelées à travers la lecture des indicateurs politiques, économiques et sociaux de ce pays. Même si ces indicateurs ne sauraient traduire toute la réalité, ils donnent un aperçu sur les effets néfastes de la fermeture du régime sur lui-même et l’absence des libertés politiques et économiques.C’est ainsi par exemple que la moyenne du taux de croissance annuelle de la Birmanie depuis 1995 malgré ses nombreuses ressources naturelles avoisine les 1,8% (indexmundi). En 2010 il a atteint 5,3 restant toutefois en deçà de ses possibilités. De fait, le pays reste l’un des plus pauvres de l’Asie du Sud-Est. Plus de 5 millions de Birmans vivent sous le seuil de Pauvreté (F.A.O, 2010). En matière de libertés économiques, le pays est classé 173ème par le Wall Street Journal et laHeritage Foundation il apparaît ainsi dans la catégorie « repressed ». Il est classé 132ème sur l’échelle d’indicateur du développement humain du PNUD. Tandis que Transparency international classe la Birmanie en 2011 comme le 3ème Etat le plus corrompu de la planète.
Une ouverture démocratique en trompe œil ?
La répression sanglante de la revolution de Safran a accentué les sanctions envers le régime de la junte. L’UE et les Etats Unis ont imposé un embargo sur les importations des matières premières, interdisant au passage aux entreprises (Etats-Unis) d’y investir. L’ensemble de ces pressions, couplé à la floraison des comportements politiques contestataires menés par Aung San Suu Kyi, vont accélérer l’assouplissement du regime. Au risque de perdre les leviers du pouvoir, les militaires ont opté pour le changement de fusil d’épaule en choisissant une ouverture démocratique… mais en trompe œil.
En effet, la junte Birmane a été dissoute officiellement en mars 2010. Le pouvoir a été transféré à Thein Sein, le premier ministre sortant (ex général). Ce dernier a été désigné Président par un comité parlementaire (ex-militaires reconvertis) et par des militaires désignés par la junte au sein du parlement. Pour tout dire, l’actuel président a été désigné par la junte, pour la junte. Et pour s’assurer le contrôle des leviers du pouvoir, la junte s’est arrogée par le biais du texte constitutionnel en vigueur des privilèges exorbitants. C’est ainsi que la constitution accorde mécaniquement 25% des sièges du parlement à l’armée, ainsi que le contrôle des ministères clés. Le droit de suspendre la constitution leur est aussi dévolu. Il s’agit alors ici d’un passage de la dictature vers un régime autoritaire légitimé par une pseudo ouverture démocratique où l'économie reste contrôlée par une poignée de nantis fidèles à la junte.
Les deux dernières décennies ont vu la majeure partie de la population s’appauvrir tandis que l’armée au pouvoir monopolisait une part importante de l’économie. Le secteur tertiaire qui représente près de 30% de la production nationale est détenu par ceux-ci. Les investissements réalisés dans le pays ont été effectués par le biais de joint venture avec la junte ou par l’entremise des entreprises appartenants aux militaires.L’ensemble du secteur économique reste contrôlé par des conglomérats industriels dont les employés sont pour la plupart des anciens officiers et dont l’objectif est de canaliser les ressources vers les caisses des militaires. Il en est ainsi par exemple de la Myanmar Economic Corporation. Comment dès lors espérer une réelle ouverture démocratique ?
La continuelle main mise des « militaires reconvertis » sur le pouvoir politique et le secteur économique, témoigne du caractère en trompe l’œil des récentes reformes.En dépit du fait que la censure des médias s’est allégée, que Le pouvoir a procédé à la libération le 13 janvier dernier de 651 prisonniers politiques sur les plus de 2200 que compte le pays ;de La promesse d’organisation d’élections législatives libres, auxquelles Aung San Suu Kyi a déjà annoncé sa candidature ; il reste que l’ouverture démocratique en Birmanie reste conditionnée par une « déJuntation » du pays. Car en l’état actuel, seul l’assertion de l’économiste Sean Turnell peut résumer sa vocation. « L’État Birman est totalement prédateur à l’égard de ses hôtes, il est encore plus dévorateur que parasitaire […], la Birmanie peut être comparée a un pilleur qui détruit tout ce qu’il est incapable de créer ou de comprendre » (Sean Turnell, Rapport Confederacion Sindicale Internacionale p.11).
Sali Bouba Oumarou, analyste sur www.UnMondeLibre.org, le 17 février 2012.