La Haute Autorité de santé devrait rendre un avis défavorable à la pédopsychiatrie dans la prise en charge de cette maladie, suscitant l'inquiétude des professionnels.
Des troubles qui touchent 0,6% de la population
Dans le douloureux casse-tête qu'est le traitement de l'autisme, la hache de guerre contre la psychanalyse est à nouveau déterrée. Et ceux qui la brandissent ne sont plus seulement des associations de parents militants. La Haute Autorité de santé (HAS), qui doit rendre publiques, le 6 mars prochain, des recommandations très attendues de bonnes pratiques sur l'autisme chez l'enfant et l'adolescent, s'apprête à classer cette approche thérapeutique au rayon des " interventions globales non recommandées ou non consensuelles ". Plus qu'un désaveu : une condamnation.
C'est un article de Libération, publié lundi 13 février et faisant état d'une version non définitive de ce rapport, qui a mis le feu aux poudres. " L'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques, ni sur la psychothérapie institutionnelle ", peut-on lire dans cette version provisoire.
Dans un communiqué publié le jour même, la HAS regrette " que les phrases citées se révèlent hors contexte ou inexactes au regard de la version actuelle du document ". Interrogée par Le Monde, elle précisait, jeudi 15 février, ne pas vouloir s'exprimer plus avant sur le sujet.
La plus haute instance sanitaire française infléchira-t-elle sa position d'ici la fin du mois, comme le lui demandent de nombreux professionnels de la santé ? Si tel n'est pas le cas, il est à craindre que cette exclusion de principe ne mette à terre le fragile consensus qui s'ébauche, depuis quelques années, entre les différents professionnels tentant de soulager cette terrible maladie.
La mèche avait été allumée il y a quelques semaines à l'Assemblée nationale. Le 20 janvier, le député du Pas-de-Calais (UMP) Daniel Fasquelle déposait une proposition de loi visant " l'arrêt des pratiques psychanalytiques dans l'accompagnement des personnes autistes ", au profit exclusif des méthodes éducatives et comportementales, provoquant un tollé parmi les psychiatres. Lesquels étaient soutenus par l'Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), qui estime qu'" interdire une forme d'accompagnement ne sert à rien ".
Comment en est-on arrivé à ce degré de violence ? A la tentative de mise au ban de toute une communauté de cliniciens dans la prise en charge d'une maladie pourtant porteuse de tant de souffrances mentales ? Pour comprendre la virulence de la croisade actuelle, il faut retourner un demi-siècle en arrière. A l'époque où l'autisme était considéré comme une psychose infantile provenant, selon la théorie du psychanalyste Bruno Bettelheim, d'une mauvaise relation de la mère à son nouveau-né.
Une hypothèse qui a culpabilisé des générations de parents, et que la science estime aujourd'hui largement dépassée : désormais intégré parmi les troubles envahissants du développement (TED) dans la classification internationale des maladies mentales, l'autisme met en jeu, probablement dès la vie foetale, un mauvais fonctionnement des circuits neuronaux.
Parallèlement à cette avancée des connaissances, les enfants atteints de ce lourd handicap ont progressivement bénéficié, en Europe comme en Amérique, de thérapies d'orientation comportementaliste. Sans faire de miracles - car on ne guérit pas de l'autisme -, celles-ci permettent souvent d'améliorer le pronostic et l'intégration sociale. Or la France, de ce point de vue, accuse un net retard.
Plus globalement, les capacités d'accueil des enfants atteints de TED y restent notoirement insuffisantes. Le secteur pédo-psychiatrique étant le seul fondé à proposer une prise en charge remboursée par l'assurance-maladie, il a cristallisé la rancoeur des parents, pour qui l'accompagnement de leur enfant s'apparente souvent à un douloureux parcours du combattant.
La psychanalyse ayant longtemps régné en maître sur la psychiatrie et sur la prise en charge de l'autisme, la tentation était donc grande, pour nombre d'associations, d'accuser cette discipline de tous les maux. De lui reprocher de continuer à culpabiliser les parents, et de freiner la mise en oeuvre des thérapies comportementales. Des reproches partiellement fondés : la culture psychanalytique reste vivace en France, et certains praticiens continuent de s'élever violemment contre la répétition d'apprentissages simples sur laquelle sont basés les méthodes Teacch ou ABA, qu'ils qualifient de " dressage ".
Faut-il pour autant ranimer les conflits ? Les porter sur le devant de la scène politique ? " Il est urgent de rétablir les équilibres, de privilégier une approche moins hospitalo-centrée et plus axée sur le projet de vie et la citoyenneté, pondère Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Mais on a besoin de la psychiatrie, de la neuropsychiatrie, et je n'exclus pas l'intérêt de la psychanalyse. Car quand un enfant autiste arrive dans une famille, tout explose. "
Si le temps de la toute-puissance psychanalytique a vécu, et si la plupart des médecins préconisent désormais une prise en charge éducative et pédagogique, ils rappellent aussi qu'aucun spécialiste n'est mieux placé qu'un pédopsychiatre pour prendre en considération les singularités dont souffrent les enfants autistes : difficultés à comprendre l'autre, à ressentir de l'empathie, à prendre conscience d'eux-mêmes et de leur corps.
La Haute Autorité de la santé entendra-t-elle cet argument ? " Mon principal souci dans cette histoire, c'est que les choses s'apaisent. Que ce soit pour les professionnels ou pour les parents, le climat actuel est extrêmement malsain. Personne n'y gagne, à commencer par les personnes autistes ", déplore le professeur Claude Bursztejn, psychiatre et président de l'Association nationale des centres de ressources autisme.
Alors que les recommandations de la HAS se dirigeaient " vers des consensus acceptables pour une grande partie des professionnels, la radicalisation actuelle des positions risque fort, si elles sont maintenues, de les rendre inacceptables par les équipes de pédopsychiatrie, estime-t-il. On peut toujours faire des recommandations, mais encore faut-il que les professionnels du terrain puissent se les approprier ". Déclaré Grande cause nationale 2012, l'autisme mérite plus d'égards et de progrès que de règlements de comptes.
Catherine Vincent
© Le Monde