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Scène de ménage sur les jeux vidéos

Par Montaigne0860

( Elle arrive. Il est installé dans son fauteuil lisant le journal)

Elle : Je ne t’ aime plus.

Lui : Comment ? (Il ne lève pas les yeux)

Elle : Je ne t’aime plus. Marre !

Lui : Pourquoi ? (Il ne lève pas les yeux)

Elle : J’en ai ras le bol !

Lui : Qu’est-ce qui s’est passé ? (Il ne lève pas les yeux)

Elle : (Rires) Rien ! Il ne s’est rien passé !

Lui : Comment ça ? (Il ne lève pas les yeux)

Elle : Je ne t’aime plus, c’est tout.

Lui : Après douze ans de mariage ? (Il ne lève pas les yeux)

Elle : Treize ans !

Lui : Oui, oh, douze ans, treize ans… Bof !(Il ne lève pas les yeux)

Elle : Comment ça « bof »? Explique !

Lui : Oh tu me fatigues ! (Il ne lève pas les yeux)

Elle : Ah, je rentre des courses, j’ai fait la cuisine pour ce soir et je le fatigue le monsieur ! Monsieur le sournois, monsieur le perfide, monsieur le faux-cul !!

Lui : Arrête de m’insulter ! (Il ne lève pas les yeux)

Elle : Je t’insulterai si j’en ai envie, espèce de crétin autoritaire !

Lui : (Baisse le journal, la regarde, silence) Autoritaire ? Crétin autoritaire ? Tiens, tiens, c’est nouveau… moi qui d’habitude ne décide de rien : ni de la bouffe, ni des vêtements, ni des motifs de la tapisserie… me voilà catalogué comme autoritaire ! Ça me fait rigoler tiens !

Elle : Marre-toi tant que tu veux, je ne t’aime plus !

Lui : Ah, je sens le couple en crise là… et tu ne fais pas ci, et tu aurais dû faire ça et…

Elle : Les enfants… et les enfants !

Lui : Quoi, les enfants ?

Elle : Tu leur as dit quoi ?

Lui : Que j’en avais assez, que je voudrais bien qu’ils me saluent le soir quand je rentre du boulot au lieu de rester plantés là comme des bœufs face à leur écran de merde.

Elle : Ah parce que tu es contre les jeux vidéos c’est vrai !

Lui : Encore ?? Tu veux qu’on recommence ??

Elle : C’est moi qui leur ai acheté ces jeux il y a près d’un an et demi, et ça te dérange encore ?

Lui : Oui, ça me dérange, je t’ai dit dès le début que j’étais contre.

Elle : Monsieur est contre, alors monsieur dit à ses enfants du mal de sa femme, de leur mère… eh, de leur mère… Tu m’entends ? Leur mère !!

Lui : Ouais, ouais…

Elle : Tu leur as dit quoi, allez avoue, vide ton sac !

Lui : Oh là là, bouh, je sais plus moi… Attends, je leur ai dit que je n’étais pas d’accord, qu’ils devaient arrêter ces jeux à la noix et faire autre chose. Juliana m’a répondu : « C’est maman qui nous a dit de jouer en attendant qu’elle revienne des courses» et l’autre là, Rémi, tu penses il a hurlé : « Oui, c’est maman qui l’a dit ! » avec sa petite voix de crécelle. Tu crois que ça m’amuse de jouer les empêcheurs de jouer en rond à des jeux de débiles ? Alors je leur ai dit que tu avais tort, voilà, que tu avais tort…

Elle : J’ai tort ! Des jeux de débiles ? Ce qui revient à dire que je suis débile !

Lui : Meuh nooon ! C’est pas ça ! Mais dis-moi : quand font-ils leurs devoirs, ces petits ? Et la nuit, tu crois que j’entends pas qu’ils jouent avec leurs Nintendos machins là…Regarde la tête qu’ils font le matin. On croirait qu’ils sortent d’une maison de fou. Blêmes, les yeux exorbités…

Elle : Tu rêves ! C’est pour tous les enfants pareils aujourd’hui. Et puis t’exagère, comme toujours.

Lui : Deux choses : UN que les enfants des autres soient élevés comme des crétins n’est pas un exemple à suivre ; DEUX j’exagère, ben voyons : depuis qu’on a cette foutue console, mes enfants de onze et treize ans ne me saluent plus, ils ne font plus de sport ; Juliana a arrêté le saxophone et Rémi la guitare et c’est moi qui exagère…

Elle : Oh, écoute-toi, ce ton, ce ton ! Méprisant, sournois… je ne peux plus te supporter.

Lui : Comment ? Tu achètes aux enfants des jeux vidéos qui les rendent à moitié dingues… tiens… délivrer la princesse, tiens, je t’en foutrais moi de délivrer la princesse, est-ce que je délivre une princesse moi ??!!

Elle : Ah ça risque pas ! Tu ne me délivres même pas des corvées du quotidien : les courses, les repas… c’est qui ? Et pendant ce temps-là, ils font quoi ? Ils parlent avec leur père, peut-être ? Dis donc, le père, TOI, tu m’aides où dans ce foutoir qu’est devenu cette baraque ? Tu parles avec eux ? Tu joues avec eux ?

Lui : Non, attends, en plus tu voudrais que je joue aux jeux vidéos de débiles avec eux, non là je rêve… Quant à parler avec eux… de quoi allons-nous parler ? De jeux vidéos bien sûr… et moi, dès qu’ils en parlent j’ai envie de foutre le camp !

Elle : Eh bien fiche le camp ! Va-t-en ! Va-t-en !

Lui : T’es sérieuse là ?

Elle : Je ne t’aime plus.

Lui : Non, vraiment ?

Elle : Je te le dis depuis tout à l’heure. T’as pas entendu ?

Lui : Si si, mais je pensais…

Elle : Tu pensais quoi, duchnoque ?

Lui : Oh ça va hein ! Je pensais que c’était comme.. euh, comme un jeu disons, oui, comme un jeu…

Elle : Un jeu vidéo mais en réel ?!!

Lui : Oh, suffit avec ça. Tiens regarde les résultats scolaires. Juliana était un as en maths il y a deux ans, mais depuis que tu leur a acheté la console elle est nulle. Maintenant Juliana en maths c’est zéro… merci Nintendo ! Et Rémi le passionné d’histoire quand il était petit. Maintenant Rémi en histoire c’est zéro… merci Nintendo !

Elle : Quel sale type, quelle mauvaise foi. Tu sais pas… t’es qu’un manipulateur !

Lui : Ah parce que j’ai tort de comparer les bulletins scolaires de mes enfants ?

Elle : De nos enfants !

Lui : Oui, ça va, de nos enfants.

Elle : Tu déformes tout. Il ne sont pas nuls comme tu dis… C’est faux, tu exagères, tu caricatures ! C’est dégoûtant, déshonorant !

Lui : Bon, ça va calme-toi, j’avoue, j’en rajoute un peu…

Elle : Je t’assure, je ne t’aime plus.

Lui : Qu’est-ce qu’il y a ? Tu en as rencontré un autre ?

Elle : Un autre quoi ?

Lui : Un autre mec, là, tu veux me foutre dehors ?

Elle : (Rit) Je rêve ! Mon pauvre ami, si tu crois que j’ai du temps à perdre entre le boulot, les courses, la cuisine et le ménage… un autre mec… mais je voudrais que j’aurais pas le temps…Et j’ai acheté des jeux vidéos aux enfants aussi parce que je n’ai pas le temps. Qui s’occupe d’eux pendant que je fais les courses, la cuisine et le ménage ? Toi ? Allez, va-t-en !

Lui : Tu ne m’aimes plus ?

Elle : Je te l’ai dit cent fois… en fait, j’en sais rien… (Silence) Tiens, écoute, tu entends les enfants qui rient ? Ils rigolent bien… Tu vois les jeux vidéos c’est ça aussi.

Lui : C’est ça, quoi ?

Elle : Ben, un lieu d’échange, tiens. On se marre.

Lui : Tu y as déjà joué ?

Elle : Bien sûr, adolescente j’y ai beaucoup joué. J’ai toujours adoré.

Lui : Ah bon, tu m’avais pas dit.

Elle : Tu vois, ça m’a pas rendue folle.

Lui : On en apprend tous les jours.

Elle : Et tu en apprendrais davantage si…

Lui : Si quoi ?

Elle : Oh écoute, mais écoute bien nom de dieu. Je vais te le dire une bonne fois pour toutes : tu n’entends pas les craquements de mon corps fatigué, les mille crissements électriques de mes pas agacés, le poids dément des tâches qui me sont imposées : casseroles, poubelles, eau du robinet, machine à laver, torchons, éponges qu’on presse, balais brosse, verres qui claquent, fer à repasser qui fume sa vapeur et mon dos, mes reins qui souffrent en soulevant les marchandises à sortir du caddie, du coffre de la voiture et les lessives à mettre… dis-moi, as-tu jamais songé à changer une ampoule ou à sortir un sac à poussière de l’aspirateur ?

Dis-moi, en bref, qu’est-ce que tu fous ici, toi ?

Lui : Je m’occupe de la voiture quand même !

Elle : Oui, c’est bien ce que je dis, tu ne fais rien, tout est automatique !

Lui : Je vais t’aider, je te le promets, je vais t’aider.

Elle : Non, pas la peine.

Lui : Tu ne veux pas d’aide ?

Elle : Non.

Lui : Et pourquoi ?

Elle : Ces enfants, on les a faits à deux, non ?

Lui : Oui, bien sûr.

Elle : Cette maison, on l’a achetée à deux, non ?

Lui : Oui, bien sûr.

Elle : Et le fonctionnement de tout ça reposerait au fil des jours sur les épaules d’une seule personne, moi ? Moi toute seule ?

Lui : Euh… mais tu ne veux pas je t’aide…

Elle : Non, en effet, je ne veux pas.

Lui : Qu’est-ce que tu veux ?

Elle : Je veux comme les enfants qu’on a mis au monde, je veux comme la maison qu’on a achetée à deux. Je ne veux pas d’aide donc, je veux du partage, un partage équitable de tout : les courses, le linge, le ménage et tout ?

Lui : Mais je ne sais pas faire tout ça !!

Elle : Parce que tu crois que j’ai reçu ça au berceau en même temps que ma sucette en plastique ? Ben non, cuisiner j’ai appris, repasser j’ai appris, faire les courses j’ai appris…. Voilà ! C’est pas inscrit dans le patrimoine génétique des bonnes femmes, ça s’apprend… ça s’apprend…

Lui : Je vois, je vois.

Elle : Et donc comme moi tu apprendras. C’est notre seule chance de sauver ce qui fut notre couple.

Lui : Je vois, je vais… je vais essayer…

Elle : J’appelle les enfants pour manger.

Lui : Non, non, attends.

Elle : On n’a pas fait le tour du problème ?

Lui : Non, je voudrais que tu m’accordes une faveur.

Elle : Je vais voir si je peux, dis toujours…

Lui : Je voudrais que tout à l’heure, quand les enfants seront couchés, tu m’apprennes à jouer aux jeux vidéos… (Il s’avance très vite vers les coulisses et crie d’une voix forte et assurée: « Les enfants ! A table ! »)


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