Après cinq ans de billets quotidiens sur ce blog, il était inévitable qu’à un moment ou un autre, j’en vinsse à parler sexe. Ne vous léchez pas les babines par avance, je ne vais pas tout déballer sur la table d’un coup. Ah, bah non !
Aujourd’hui je vais évoquer ce que je pense être mon premier intérêt pour la chose, un souvenir qui remonte à l’année 1959, alors que je n’avais que sept ans. L’âge où l’on commence à aimer Tintin – encore que chez nous à la maison, c’était plutôt Titine (private joke familiale). En fait à cette époque, cette première approche tenait plus de l’impression diffuse, d’une troublante sensation qu’il existait des choses mystérieuses que les enfants ne savaient pas encore mais dont les adultes se délectaient.
C’est mon grand-père qui a entrouvert la porte verte de mon innocence par ses propos pleins de sous-entendus grivois tandis qu’il discutait avec mes parents. Si je peux dater avec précision l’évènement à l’année 1959, c’est que mon pépé évoquait un film qui venait tout juste de sortir sur les écrans parisiens, faisant du bruit dans le Landerneau. Il s’agissait de La Jument verte, réalisé par Claude Autant-Lara avec Bourvil, Francis Blanche et Yves Robert, adaptation du roman de Marcel Aymé.
Les mœurs ayant beaucoup évolué on a du mal aujourd’hui à se remettre dans le contexte de cette fin des années cinquante. Imaginer Bourvil dans un film de cul, ce qu’il n’est pas, laisse pantois et incrédule. J’ai vu le film depuis et je n’ai pas souvenir qu’on entrevoit le moindre bout de sein, mais ce ne sont pas les images qui choquaient les puritains, plutôt les situations et les idées qu’elles évoquaient. La mère violée par un soudard alors que son fils est planqué sous le lit, même si le réalisateur l’avait traité en comédie, ça faisait hurler dans les chaumières. D’ailleurs, avant sa sortie en salle, la censure avait exigée des coupures, ce qui n’avait pas empêché le Comité Catholique du Cinéma de classer ce film à la « côte morale 5 », soit la plus élevée, celle d'un film déclaré à proscrire. En province, le film avait fait un tel scandale que l'évêque de Tulle obtint son interdiction en Corrèze. Le film a été interdit aux moins de 21 ans à Tours et les projections se faisaient lumières de salle allumées. Vous comprenez le tintouin déclenché par le film.
Quant au roman de Marcel Aymé parut en 1933, il est commenté ainsi dans sa notice d’accompagnement de l’édition de la Pléiade « Les mœurs de ce village n’ont rien d’idyllique. Les jeux de l’amour occupent une place importante dans l’existence des habitants : l’inceste se pratique dans la famille Maloret, et devant le viol certains ne reculent pas. Verdeur des propos et audace des gestes ne répugnent pas. Avec une verve gauloise, dans la pure tradition rabelaisienne, Aymé ne cache rien des pratiques amoureuses qui se transmettent de génération en génération dans les différentes familles. (…) Le désir amoureux mène le monde et détermine tous les comportements humains. Seule l’hypocrisie cherche à le faire oublier. La haine entre les deux familles Maloret et Haudouin n’a pas d’autre motif. Sous la farce paysanne se cache une vision lucide de la condition humaine. »
Le sujet était donc chaud même si au pays de Rabelais on aime se complaire dans la grivoiserie et les jeux de mots polissons. Aussi quand mon grand-père parla de ce film, il l’évoqua avec force clignements d’yeux, sifflements courts et tss ! tss ! pleins de sous-entendus sulfureux qui tout en ne disant rien exactement de ce qui se passait dans ce film, n’en affolait que plus mon imagination alertée mais encore innocente et vierge des choses du sexe. Ce jour-là j’ai compris qu’il se passait des trucs pas très clairs dans le monde des adultes, des choses qui m’effrayaient un peu car mystérieuses, mais tout autant attirantes pour la même raison.