Les économies en forte croissance sont souvent recommandées. Pourtant, les investisseurs privés sont confrontés à des barrières. Pistes pour les contourner.
Depuis début janvier, l’Inde a ouvert son marché actions aux investisseurs étrangers. Ces derniers ne sont plus obligés d’investir à la bourse de Bombay via des fonds de placement, même si certaines restrictions demeurent. Peu de temps après, l’Arabie saoudite a fait un pas en direction d’une plus grande ouverture. Les particuliers non domiciliés dans la région ne pourront toutefois pas encore investir directement.
Malgré une chute de 20% en 2011, les marchés des pays émergents sont souvent présentés comme un nouvel eldorado. Forte croissance, solidité budgétaire, démographie favorable, ils se trouvent à mille lieux des problèmes des pays développés. En observant l’évolution des dix dernières années, ils ont de quoi allécher l’investisseur: le S&P 500 a gagné 41,4%, l’Eurostoxx 50 a perdu 5,3%, tandis que les actions des pays émergents, mesurées par l’indice MSCI, se sont envolées de 293%.
■ Les restrictions
Les marchés émergents posent pourtant souvent un problème: l’accès. Acheter des fonds de placements est possible. S’y aventurer seul est en revanche nettement plus compliqué, voire impossible. La Chine en est le parfait exemple. Il est possible d’investir dans des titres chinois via la bourse de Hongkong, mais pour jouer directement dans la bourse de Shanghai, l’investisseur privé devra encore ronger son frein.
La plupart des bourses mettent des obstacles pour l’investisseur étranger. «Les gouvernements peuvent le faire pour deux raisons. Soit via des taxes, pour contrôler les flux financiers et éviter la spéculation à court terme et les mouvements brusques des monnaies. Soit, en introduisant des limites de propriété pour les investisseurs étrangers, pour des raisons stratégiques», explique Ines Chaieb, professeure assistante à l’Institut de recherche en finance (GFRI) de l’Université de Genève et au Swiss Finance Institute. Certains pays développés, comme le Canada ou l’Australie, ont aussi introduit de telles limites de propriété.
■ Degré d’ouverture
Standard & Poor’s calcule un indice mesurant le degré d’ouverture d’un marché, qui tient compte entre autres des limites de propriété, des contrôles de changes et des facilités de rapatriement de capitaux. «Le Chili, par exemple, impose peu de limites, mais les retraits de capitaux peuvent prendre jusqu’à deux semaines», poursuit la professeure. Selon l’indice, dont il n’a pas été possible de trouver des données plus récentes que 2008, le Mexique, la République tchèque, l’Indonésie, Israël et la Hongrie figurent parmi les marchés les plus ouverts. A contrario, la Chine, l’Inde, les Philippines et la Thaïlande font partie des places les plus fermées.
L’ouverture signifie-t-elle que les investisseurs en profitent pour diversifier leur portefeuille? «Dans beaucoup de cas, on observe qu’il existe des barrières implicites: les investisseurs craignent encore pour la gouvernance, la transparence et le fait qu’ils peuvent manquer d’informations», explique Ines Chaieb. La professeure donne l’exemple du Brésil, qui demande que l’investisseur s’inscrive et fournisse de la documentation en portugais seulement.
■ L’Asie
Si les investissements en Chine sont très limités, «il est possible d’acquérir à Hongkong un «tracker» sur l’indice composite de Shanghai», explique Raymond Hêche, responsable des fonds de placement à la Banque Morval. Autre moyen d’investir indirectement, négocier avec certains courtiers des certificats représentant des titres A (cotés en Chine) ou acheter les titres H (cotés à Hongkong) de nombreuses entreprises chinoises, poursuit-il.
Pour les autres pays, la situation varie. «En Inde, il s’agit d’une modification très modérée, car il faut toujours ouvrir un compte dans le pays et on n’échappe pas à l’impôt sur le capital si l’on garde les titres moins de 12 mois», relativise Raymond Hêche.
En Indonésie, en Thaïlande ou aux Philippines, le client peut passer un ordre à sa banque comme pour un pays développé sans problème. Mais, pour ces bourses, «reste à voir le montant des commissions de transactions», prévient l’expert. Certains autres marchés ne sont pas forcément fermés. Mais comme la Corée ou Taïwan, ils demandent un numéro d’investisseur. En revanche, un peu plus d’une vingtaine de pays, dont la Malaisie qui est un bon exemple, demande à la banque de se montrer prête à fournir le nom de l’ayant droit économique. «Plusieurs pays ont instauré cette règle suite à la crise asiatique pour traquer les manipulations de cours, explique le spécialiste. Hongkong l’a aussi décidé, mais n’en a jamais fait usage. Le risque est perçu comme nettement plus grand en Malaisie.»
■ L’Amérique latine
L’Amérique latine a elle aussi ses séries de restrictions pour des raisons différentes. «Le Brésil a instauré une taxe pour éviter l’appréciation excessive du real et le Chili pour éviter des entrées et sorties intempestives de fonds», poursuit Raymond Hêche.
Surtout, une fois dépassé les principaux marchés brésiliens et mexicains, les autres bourses sont relativement petites et illiquides. Pour y investir, les experts recommandent donc plutôt de passer par les ADR (certificats qui permettent aux entreprises étrangères d’intégrer la bourse américaine). Wall Street compte une cinquantaine de titres de sociétés sud-américaines qui se traitent avec un plus grand volume que dans leur pays d’origine et avec des frais moins élevés.
■ L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient
Dans les pays du Golfe, il n’y a pas de taxe spécifique pour les investisseurs étrangers. Par contre, il existe une limite en ce qui concerne leur prise de participation dans les sociétés. Celle-ci varie en fonction de chaque entreprise. «Une fois cette limite atteinte, il faut attendre qu’un investisseur étranger vende ses parts pour pouvoir les racheter», explique Habib Oueijan, responsable de la gestion d’actifs pour les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à l’Union Bancaire Privée. Mais selon lui, cela n’arrive que très rarement
A l’exception de l’Arabie saoudite, les investisseurs étrangers peuvent toutefois traiter directement sur les marchés financiers de la région, dont le Qatar et les Emirats arabes unis. Pour ce faire, ils doivent s’inscrire auprès de la bourse en question. Ensuite, les étrangers doivent passer par un intermédiaire pour chaque transaction qu’ils souhaitent réaliser.
■ Les moyens détournés
Pour les investisseurs frileux, de nombreux experts conseillent un moyen indirect pour profiter de la croissance des pays émergents: acheter des titres de sociétés occidentales dont une grande partie de l’activité est réalisée dans les pays en croissance.
(Mathilde Farine et Sebastien Dubas - LeTemps.ch - 06/02/12)