La forme d’écriture choisie exprime bien cet émiettement d’être, cette impossibilité de lisser le vécu en un récit chronologique clair, habituel. Ce sont de petits groupes de vers libres, eux-mêmes souvent fragmentés par des rejets durement marqués. Sur ce point, l’écriture est assez différente de celle employée dans Musicalité du vide, 2, alors que la proximité thématique du deuil est évidente.
« L’enfant » : on ne saura pas qui. L’auteur le tutoie sans jamais le nommer ou donner un lien de parenté. L’enfant est tout entier dans sa douleur et la maladie de sa mort. « L’enfant / Il me montre ses / Dessins / Il y a ses peurs dans ses dessins / Il pense qu’elles vont prendre / Leur envol // Aussi à partir du papier » (p65). On le voit par cette peur, l’enfant n’est pas inconscient, il sait que « La mort avance lentement / Dans le jardin et bientôt // Elle existera » (p64). Cette conscience de sa propre fin est une des tensions fortes du livre.
En face, ou plutôt avec, le « je » accompagne fraternellement cette lente fin de vie. Il ne soigne pas plus qu’il ne se lamente ; il reste dans une sorte d’impuissance silencieuse. « Tes silences ont beaucoup de / Peine // J’aimerais être ce qui vient / Enlever la peine // En partie » (p48). Le « je » est dans une attitude aidante, compatissante, accompagnante, plus que révoltée face à l’inacceptable inévitable. Lisant, j’ai plusieurs fois repensé au personnage de Rieux dans La Peste, confronté à l’agonie du fils Othon ou de Tarrou. Mais le parallèle tourne court : il n’y a pas de lutte chez Gosztola, pas de combat ou d’agonie au sens propre, et ce n’en est que plus rudement humain. Les séquences du poème nous donnent des fragments en désordre d’une séparation entre deux êtres ; ils peuvent seulement s’aider, s’aimer. Par exemple, le « je » devine les pensées de l’enfant : « Ton corps est traqué dans ta / Tête //Tu es parmi les choses / Et les gravats / Tu cherches à passer » (p72). Mais l’un et l’autre ne peuvent échanger leurs peaux, et ils le savent. Il y a beaucoup de retenue dans ce livre, et le choix de la bribe, de la séquence courte, est particulièrement approprié. Le lecteur ne devient jamais voyeur, il n’en a pas le temps, même s’il partage l’intensité de cette lente séparation. « Je te regarde il y a la neige / Toute la neige silence d’un / Visage » (p86).
[Antoine Emaz]
Matthieu Gosztola , Visage vive, Editions Gros textes – 98 pages – 7€