Ce n’est pas tant sur l’Allemagne qu’il faut s’aligner que sur le bon sens, l’initiative individuelle, l’esprit d’entreprise et d’épargne. Il faut s’aligner sur la liberté économique pour avoir le progrès social.
Par Jacques Garello, publié en collaboration avec l’aleps.
Beaucoup de commentateurs se sont interrogés sur les raisons qui ont poussé la Chancelière à apporter son soutien à Nicolas Sarkozy. Elle peut rechercher son propre intérêt politique : sa popularité est au plus haut dans son pays, et sa venue à Paris la confirme dans le rôle de leader européen. L’électeur allemand ne serait-il pas fier de cette revanche sur l’histoire ? Évidemment cette idée n’est guère sympathique à beaucoup de Français, et pour causes : d’une part, beaucoup de nos compatriotes aiment bien donner des leçons aux autres, mais n’aiment pas s’en entendre donner ; d’autre part, l’image d’une Allemagne à nouveau agressive pourrait effrayer. Pour ma part, je ne crois pas que l’esprit de conquête anime le peuple allemand, qui aurait plutôt la crainte d’être le dindon de la farce : après les lourds sacrifices consentis pour mériter sa position actuelle (notamment en absorbant les Länder de l’Est) lui faut-il éponger les dettes des autres ? « Eh bien, dansez maintenant »…
Mais je crois que la Chancelière a été surtout effrayée par la perspective de François Hollande à l’Élysée : née en RDA, elle a horreur du collectivisme, du communisme et de tout ce qui y ressemble. Or, à n’en pas douter, le socialisme marxiste qui a inspiré le discours du Bourget a de quoi inquiéter. Angela Merkel prend le risque de se brouiller d’avance avec un Président prisonnier d’un programme et d’un entourage gauchistes. De plus, comme tout citoyen de la RDA, elle sait la rançon que son pays a payé à l’inflation, qui a fait le lit du nazisme.
Je n’éprouve donc ni surprise ni révolte à l’idée d’un soutien qui a au moins le mérite de la franchise – ce qui est rare dans la classe politique. La Chancelière est assez forte pour ne pas s’abaisser à des faux-fuyants.
Du côté français, le terme à la mode est « convergence ». Ce mot ne me plaît pas. Il peut en effet signifier « harmonisation » entre partenaires européens, alors que l’analyse et l’histoire m’inclinent à préférer la concurrence. On le voit à propos des discussions concernant les impôts sur les sociétés : à quel niveau fixer le taux commun et l’assiette commune ? L’Allemagne va-t-elle pénaliser ses entreprises, pour permettre aux entreprises françaises d’être moins fiscalisées, ou l’inverse ? La concurrence doit s’instaurer en matière fiscale comme dans tout autre domaine : social, environnemental. Son résultat habituel, ici comme ailleurs, est de déboucher sur le meilleur niveau possible, car les moins bons doivent se hisser au niveau des meilleurs. Dans le processus concurrentiel, il y a bien convergence, mais par adaptation progressive de tous aux choix effectués par les meilleurs.
Mais convergence peut également s’entendre de l’émergence d’une nouvelle société européenne où chacun des leaders apporterait son actif. Mais quel est l’actif spécifique des deux pays ? Les Allemands sont admirés pour leur modèle économique, qui leur vaut aujourd’hui excédents commerciaux, chômage réduit et finances publiques assainies. De leur côté, les Français sont fiers de leur modèle social, que tous nos hommes politiques, de droite comme de gauche, veulent sauvegarder. Peut-on imaginer une convergence sous forme d’un heureux mélange des deux ? Je vois mal les Allemands abandonner une protection sociale (maladie, retraite, chômage) qui leur coûte 10 points de moins que notre Sécurité Sociale. Ils ont limité l’indemnisation du chômage à un an ; reviendraient-ils à trois ans ? Le chômage partiel, géré au niveau des entreprises, est leur arme préférée et efficace contre les licenciements, et l’apprentissage permet de limiter le chômage des jeunes à 10% contre plus du double chez nous. Que pourraient-ils donc emprunter au « modèle social français » ?
Depuis des mois, on entend dire que grâce à notre fameux modèle nous avons mieux traversé la crise que les autres. Les transferts sociaux auraient joué le rôle de stabilisateurs automatiques de la croissance. Cette farce n’est plus crédible aujourd’hui, car on ne peut faire du « social » sans faire de l’ « économique ». Ainsi, dans la corbeille de mariée, la France n’a-t-elle rien à apporter.
C’est la raison pour laquelle il s’agit pour nous de nous aligner. Nous aligner sur l’Allemagne peut-être, dans un premier temps. C’est-à-dire réduire le rôle de l’État en privatisant comme l’ont fait les Allemands (HLM, postes, chemins de fer, hôpitaux, musées), en introduisant décentralisation et concurrence dans le système de protection sociale, en donnant au marché du travail, avec l’accord des syndicats, toute la flexibilité possible, en interdisant les déficits budgétaires à tous les niveaux. Mais tout n’est pas bon à prendre chez les Allemands. En particulier ils ont augmenté le taux de TVA – ce qui permet à Nicolas Sarkozy de justifier le projet de TVA sociale, ils ont surestimé les possibilités des énergies de substitution et abandonné imprudemment le nucléaire.
En fait, il n’y a ni miracle ni modèle allemand. L’alignement que devraient viser les dirigeants français – et vers lequel les électeurs devraient les pousser, c’est un alignement vers les principes essentiels de l’économie : libre échange, libre entreprise. Pour l’instant, nous en sommes encore à vanter les mérites du protectionnisme et du made in France, à tenter de sauver la Sécurité Sociale, à laisser les syndicats imposer leur tyrannie du statu quo. Ce n’est pas tant sur l’Allemagne qu’il faut s’aligner que sur le bon sens, l’initiative individuelle, l’esprit d’entreprise et d’épargne. Il faut s’aligner sur la liberté économique pour avoir le progrès social. Les Allemands l’ont compris, pourquoi pas nous ?
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