Blouse + Cosmetics + The New Lines, 285, Kent Avenue, Williamsburg, Brooklyn, New-York, le 1er février 2012
Comme son, on fait difficilement plus brouillon. La voix du chanteur est presque imperceptible, noyée sous des couches de boucles psychédéliques, de guitare cathédralesque et de lignes de basse joufflues. Encore pire, un feedback dans les hautes fréquences que rien ne semble pouvoir faire taire hurle depuis l’orgue Farfisa dont se sert la claviériste. Ce tohu-bohu n’est pas loin de me mettre la larme à l’œil – mais pas vraiment de joie.
C’est pas facile pour des musiciens de chair et d’os de jouer par-dessus des samples. Pas question de prendre quelque liberté avec le tempo ou de manquer un break parce que la machine, elle, ne se trompera pas. Tu dois donc jouer comme un robot parce que justement, tu joues avec un robot. Très concentrés sur leurs doigts, les musiciens font de leur mieux pour garder la mesure. Malheureusement, la performance qui en découle est jouée avec une réserve assez frustrante. En plus, le batteur de The New Lines semble manquer un peu d’entraînement. À deux reprises, le groupe tente une dernière chanson, à deux reprises, ils échouent à cause de lui. Tout le monde quitte la scène assez désappointé mais réconforté par des applaudissements polis mais nourris.
Le charisme n’est pas vraiment le fort de ce duo. Alors que la chanteuse fait de son mieux pour surmonter sa timidité et chanter juste – ce qui ne réussit pas à tous les coups -, le claviériste cuisine une soupe de nouilles de l’espace sur ses synthétiseurs 100% analogiques et vintage. Et ça ne marche pas vraiment. Lui regarde ses doigts. Elle boit de l’eau dans une bouteille en plastique. Lui continue de regarder ses doigts. Elle s’accroche compulsivement à son gilet de coton jaune. Son visage est à moitié dissimulé sous une longue frange et le reste de sa généreuse chevelure blonde tombe libre sur ses épaules, en privant au passage son minois de son contour. A dire vrai, l’inconfort de cette jeune fille à faire face au public est presque embarrassant à contempler.
Le son de Cosmetics est sombre, massif, pesant et assez vite éreintant. Les structures des morceaux manquent cruellement de diversité et d’inventivité, et leurs pauvres architectures harmoniques et faibles mélodies n’arrangent rien. Non seulement, après une décennie entière passée à réinventer le son des années 80, je ne sais plus trop quoi espérer d’un duo gothico-synth-pop, mais Cosmetics a encore beaucoup de progrès à faire, tant sur l’écriture que sur le jeu de scène.
La fille s’en va retrouver sa bouteille d’eau avant même la fin du dernier morceau. C’est un soulagement. Tant pour elle que pour moi.
…ou comment sourire sans joie.
Blouse fait vibrer les cœurs de sa scène locale depuis plusieurs années maintenant, mais ce trio garçons-fille de Portland (quatuor sur scène) a vraiment commencé à sonner (et à buzzer) depuis sa signature sur le très légitimement acclamé label de Brooklyn Captured Tracks (Beach Fossils, Craft Spells, The Soft Moon, Thieves Like Us, Wild Nothing, et plein d’autres formations pop à base de rêve, de brume et de grain). Leur album éponyme, sorti en novembre dernier, était un plaisante démonstration de pop sablonneuse, doucement mélancolique mais un peu trop poliment rétro. Voyons comment sa version incarnée sonne.
Assez sale et plutôt indistincte.
Mais ça n’est pas vraiment de leur faute. Et en fait, ça n’est même pas vraiment ce qui importe ici. Il ne faut pas s’attendre à un son cristallin quand on vient dodeliner de la tête au 285, Kent Ave, là où la jeunesse locale (qui n’a pas d’âge, comme chacun sait), vient découvrir ce qu’il y a de neuf sous le ciel nocturne de l’underground new-yorkais et, au passage, montrer ses derniers achats en friperie (hobby qui d’ailleurs déplace les foules : c’est mardi soir et la salle est bondée, les gens n’ont-ils pas de boulot ? Demain n’est-il pas un jour d’école, sacrebleu ?). La voix délicatement fébrile de la chanteuse de Blouse est désespérément sous-mixée et les gimmicks de guitare réverbérée peinent parfois à se dégager des nappes de synthé. Heureusement, le très accrocheur couple Monsieur Basse & Monsieur Batterie est suffisamment solide et précis pour fournir aux morceaux un entraînant socle rythmique.
La poésie de Blouse se situe clairement à hauteur de nuage et exalte une dévotion aveugle aux sentiments les plus naïfs, quitte à en perdre pied : « Let’s forget about the ceiling, / It’s just made of stone. » (Firestarter). Dans une veine toute aussi fleur bleue sont aussi à convoqués des paradoxes tout à fait surréalistes : « I was in the future yesterday / But it looked nothing like this. / It was a shot I’ve never missed, / It was a lover I’ve never had. » (Time Travel).
Si la froideur, voire l’austérité de certaines chansons, particulièrement pour les plus synthétiques comme Controller, peuvent un peu « saper le moral », comme dirait ma maman, elles ne plongent jamais leur auditeur dans un désespoir très profond. En effet, jamais elles ne se séparent de cette délicieuse et féminine touche de coolitude paresseuse et insouciante propre à Blouse. Et puis de toutes façons, les singles Time Travel et Into Blackont suffisamment de lumière à offrir pour adoucir les cœurs les plus assombris. Les médiocres souvenirs qui restaient de la performance de Cosmetics sont complètement effacés. Un peu plus âgés que les musiciens des groupes précédents, les membres de Blouse font preuve d’une assurance sereine et détendue. L’étrange beauté, presque virile, de la chanteuse Charlie Hilton, est un fascinant point de focale pour l’œil du spectateur. Avec un minimum d’efforts, elle insuffle mon esprit de souvenirs pastels que je n’ai jamais eu, de regrets doux-amers dont je n’ai jamais souffert, et d’espoirs naïfs que je n’ai jamais osés nourrir. Je rentre chez moi enrichi d’une vie passé que je ne savais pas avoir vécue. Je me sens trop nostalgique pour être joyeux, mais trop enchanté pour ne pas sourire.
Blouse, ou comment sourire sans joie.
<h3>English version</h3>
The New Lines
The sound is terrible. The singer’s voice is almost imperceptible, drawn under layers of psychedelic loops, reverberated guitar and heavy synth-bass patterns. Even worse, some permanent feedback on the high frequencies, produced by a badly mastered Farfisa keyboard almost makes my eyes twinkle (but not in a good way).
It’s hard for flesh-and-blood musicians to play on samples. You can’t mess with the tempo or miss a break, because the machine won’t. You have to play like a machine, because you
actually play with one.
Very focused, the band does its best to keep the groove. Unfortunately, the result is a restrained and quite frustrating performance. Moreover, the New Lines’ drummer seems to need some practice. Twice, the band tried to play their last song, twice, it failed because of him. They leave the stage rather piqued but supported by polite applauses.
Cosmetics
Charisma isn’t really the strength of that band.
While the tall blond girl singer tries her best to overcome her shyness and to murmur in tune – and does not always succeed –, the boy cooks some space noodles on his 100% analogical vintage synths. And it doesn’t really work.
He looks at his fingers. She drinks water on a plastic bottle. He keeps looking at his fingers. She compulsively fiddles with her cardigan. Her face is almost hidden by her long bangs and untied hair but her discomfort is clearly visible. To tell the truth, her uneasiness is almost embarrassing to witness.
The sound is dark, massive, heavy, harassing. The songs’ structures really lack of diversity and inventiveness, and their poor harmonic manufacture and weak melodies don’t help. Not only I don’t know what to expect anymore from a gothic synth-pop duo, after a whole decade of 80′s revival, but Cosmetics have long hours of work in front of them until they give an audience a lasting memory.
The girl leaves the stage before the end of the last song and goes back to her water plastic bottle. It’s a relief. Both for her and I.
…or how to smile without actually being happy.
Those dudes and girls from Portland have been serenading their local scene for a couple of years now. Yet they really started to sound and buzz since last winter, when they signed on the legitimately acclaimed Brooklyn based label Captured Tracks (Beach Fossils, Craft Spells, the Soft Moon, Thieves Like Us, Wild Nothing and many other poppy/dreamy/reverby/slightly noisy bands). Their eponymous debut album, released last november, was a pleasant yet a bit too politely retro piece of analogical melancholic-but-not-depressed smear pop. Let’s see how it sounds live.Rather crappy and blurry.
But that’s not their fault. And, actually, it’s not even what really matters, here. You don’t expect to enjoy a very pristine sound when you go jive your head at the 285, Kent Ave, the place where all the NYC broke hip/youngsters (a state of mind that has no age, as you know) converge when they want to discover the latest music trends or just to show their brand new hip outfit (which they do in-crowd: it’s tuesday night and the venue is nearly packed. Don’t you have a job, guys? Isn’t tomorrow a school day, god damn it?).
The charming and delicately weak voice of the girl singer is frustratingly under-mixed and the highly reverberated guitar lines sometimes hardly stands out of the ethereal synth glazes. Fortunately, the catchy drum & bass couple is sharp enough to provide the songs solid and driving foundations.
The poetry brought by Blouse beats around a blind devotion to human feelings, at the cost of a disconnection with concrete life (“Let’s forget the ceiling, / It’s just made of stone.” in Firestarter). Still in a tenderly sentimental way, they also play with surrealistic gimmicks (“I was in the future yesterday / But it looked nothing like this. / It was a shot I’ve never missed. / It was a lover I’ve never had.” in Time Travel).
If the coldness, verily the austerity of some songs – especially the synth-driven ones like
Controller – can dampen you a little bit, they won’t completely bring you down. Indeed, they always carry that delicious and feminine touch of careless and lazy coolness that makes Blouse’s charm. Anyway, the catchy gimmicky singles Time Travel and Into Black bring enough light to soften any darken heart.
Blouse simply fades the memories of Cosmetics’ performance out. A bit older than the previous bands’ musicians, the members of Blouse show a very relaxed and serene presence. The strange beauty, almost virile, of the tall dark hair lead singer Charlie Hilton, is a mesmerizing point of focus for the audience’s eyes. With a minimum of effort, she infuses my mind with nostalgic and pastel memories that I never had, bittersweet regrets I never suffered from, and naive hopes I never dared to feed.
I go back home enhanced by a past life I never thought I’ve lived. I feel too nostalgic to be happy, but too enlightened not to smile.
Blouse, or how to smile without actually being happy.