Maître François (actif à Paris entre c.1460 et c.1480),
L’ascension des âmes, c.1475-80.
Miniature sur parchemin, 120 x 80 mm, dans La Cité de Dieu de Saint Augustin,
Ms MMW 10 A 11, fol. 410r, La Haye, Musée Meermanno.
Chaque nouveau disque d’Organum, un ensemble que les amateurs de musique médiévale suivent depuis le début des années 1980, est, en soi, un événement. On ne compte plus, en effet, le nombre de découvertes à mettre à l’actif de Marcel Pérès et de ses chantres, en particulier dans le répertoire du Haut Moyen Âge, comme les chants vieux-romain ou ambrosien dans lesquels ils excellent. Ils s’aventurent aujourd’hui, ainsi qu’ils le font parfois, en dehors de leur territoire d’élection pour nous offrir leur vision d’un Requiem attribué soit à Anthonius Divitis, soit à Antoine de Févin, dont ils signent pour Æon le deuxième enregistrement édité en moins d’un an.
Les premières mises en polyphonie de l’office pour les défunts qui nous sont parvenues remontent au XVe siècle, ce qui n’est pas étonnant en soi si l’on conserve à l’esprit que ce siècle fut, plus que tout autre, celui où la mort occupa une place centrale
dans les arts, qu’il s’agisse de la floraison de transis sculptés avec un luxe de détails macabres grandissant, comme celui de Guillaume Lefranchois (Arras, c.1446, exposé au Musée des
Beaux-Arts de la ville), des Vanités en peinture, dont le Triptyque de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste, réalisé vers 1485 par Hans Memling (c.1439/40-1494) et conservé au Musée des
Beaux-Arts de Strasbourg offre un bel exemple,
Le Requiem que nous propose aujourd’hui Organum lui est postérieur mais n’est pas sans comporter, lui aussi, une part
de mystère. En effet, les cinq manuscrits qui le transmettent ne s’accordent pas sur sa paternité, deux ne citant aucun nom, deux celui d’Antoine de Févin (c.1470-1511/12) et un, dans le
recueil richement enluminé connu sous le nom d’Occo Codex conservé à la Bibliothèque royale de Belgique à Bruxelles, celui d’Anthonius Divitis (c.1475-après 1525), deux musiciens
présentant le point commun d’avoir travaillé à la cour de France.
De la version d’Organum (photographie ci-dessous), on attendait qu’elle offre un regard différent de celui proposé par Doulce
Mémoire et, sur ce plan, le moins que l’on puisse dire est que l’on n’est pas déçu ; les dissemblances sont telles que l’on se demande parfois, de bonne foi, si les deux ensembles
interprètent bien la même œuvre, que le premier amarre solidement au Moyen Âge, tandis que le second l’attire tout aussi clairement vers la Renaissance. Pour sa lecture, Marcel Pérès a fait le
choix, à mon sens pertinent, de n’adjoindre aucun instrument aux voix, ce qui permet à l’attention de se concentrer exclusivement sur le texte, dont on comprend immédiatement qu’il est au cœur
même du projet interprétatif du chef. Comme toujours, il privilégie ici des chanteurs aux timbres vocaux extrêmement caractérisés et fait sonner l’ensemble avec une clarté d’articulation et un
grain rocailleux caractéristiques auxquels s’ajoute la profondeur apportée par des basses d’une densité toujours aussi stupéfiante.
Je conseille donc à tout amateur de musique ancienne de se plonger dans cet enregistrement passionnant d’Organum qui s’il pose, à mon avis, plus de questions qu’il n’en résout n’en demeure pas moins d’une éloquence que n’atteint pas toujours la réalisation de Doulce Mémoire, en dépit de sa perfection formelle. S’il n’est pas certain, à mon sens, que la musique de Divitis ou Févin sonnait de cette manière, l’expérience que propose Marcel Pérès est d’une intensité telle qu’il serait dommage de ne pas lui consacrer toute l’attention qu’elle mérite.
Organum
Marcel Pérès, ténor & direction
1 CD [durée totale : 65’55”] Æon AECD 1216. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Requiem : Kyrie
2. Tractus : Sitivit anima mea
3. Requiem : Agnus Dei
Des extraits de chaque plage peuvent être écoutés ci-dessous :
Divitis & De Févin: Lux Perpetua Requiem | Compositeurs Divers par OrganumIllustrations complémentaires :
Enlumineur anonyme, Le Dit des trois morts et des trois vifs, c.1500. Miniature sur parchemin, 145 x 100 mm, dans un Livre d’Heures à l’usage de Bourges, Ms. Lewis E 086, fol. 113r, Philadelphie, Free Library.
Maître François, L’ascension des âmes vers la Trinité, c.1475-80. Miniature sur parchemin, 120 x 80 mm, dans La Cité de Dieu de Saint Augustin, Ms MMW 10 A 11, fol. 452v, La Haye, Musée Meermanno.
Photographie de l’Ensemble Organum © La Dépêche du Midi
Suggestion d’écoute complémentaire :
Doulce Mémoire
Yann-Fañch Kemener, chant breton*
Denis Raisin Dadre, direction
1 CD Zig-Zag Territoires ZZT 110501. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien et des extraits de chaque plage écoutés ci-dessous :