La Couleur Tombée du Ciel - Howard Philip Lovecraft

Par Woland

The Colour Out of Space Traduction : Jacques Papy

Extraits

Ce recueil de quatre nouvelles doit son nom à celle qui demeure l'une des plus terrifiantes jamais écrites par Lovecraft. On n'y voit pourtant pas trop les tentacules des Grands Anciens et l'écrivain use en fait de descriptions très simples pour amener son lecteur à un rare degré d'effroi. Mais c'est le propre du génie d'atteindre à de tels sommets avec si peu de moyens ou encore avec des moyens en apparence aussi faibles. Et Lovecraft était un génie.

Enfin, telle est mon opinion, confortée par les trente-sept ans qui séparent désormais ma première lecture de "La Couleur Tombée du Ciel" de la seconde et toute récente que je viens de faire. A quinze ans, on n'a pas encore vu grand chose, on est tout neuf, on s'émeut vite. Trente-sept ans plus tard, on a accumulé les films d'épouvante ("Alien", "Ring", "The Blair Witch Project" ...) et les lectures du même genre (tous les Stephen King, les Graham Masterton première époque, "Le Tour d'Ecrou" de James et autres friandises venimeuses de la littérature). Sans compter qu'on a vu se fissurer Tchernobyl, croître et s'épanouir une pollution qui redynamise les grandes maladies respiratoires, apparaître le SIDA, l'encéphalite spongieuse et toute cette sorte de choses - et que ça, malheureusement, c'est du réel, une horreur bien concrète amplifiée par les fûts de déchets nucléaires enfouis en dépit du bon sens un peu partout sur notre chère planète.

Et c'est peut-être tout ce contexte pollution-écologie qui a permis à "La Couleur Tombée du Ciel" de ne pas concéder au Temps un seul atome de sa puissance.

Certes, dans la nouvelle, la mystérieuse couleur est bien liée à un météorite probablement habité par l'une de ces entités extra-terrestres et extra-temporelles qu'affectionnait Lovecraft. Mais l'art avec lequel le romancier nous la décrit, s'infiltrant tout d'abord dans les sols, puis dans les cultures, enfin dans les humains qui vivent là, nous évoque rétrospectivement le fléau d'une pollution mystérieuse et incontrôlable. Et quand une partie de la couleur finit par rejoindre sa dimension originale, le lecteur sait bien qu'elle laisse derrière elle, tout au fond d'un puits, l'horreur en germe ...

A côté de ce texte, d'une intensité exceptionnelle, les trois autres en paraîtraient presque - presque - gais, optimistes et même anodins. "L'Abomination de Dunwich", lui aussi d'une très grande qualité, semble une adaptation lovecraftienne du "Grand Dieu Pan" d'Arthur Machen - adaptation mais non copie, attention ! ;o) "Le Cauchemar d'Innsmouth" introduit pour la première fois la ville d'Innsmouth et ses inquiétantes mutations génétiques dans l'univers du créateur de Chthulu et "Celui qui chuchotait dans les ténèbres" reprend le thème de l'invasion de la Terre par des extra-terrestres très mal intentionnés.

A mon sens, ce volume est, avec "Dagon" et "Par delà le Mur du Sommeil", le meilleur qui soit pour découvrir H. P. Lovecraft et son oeuvre. Avec d'autant plus de plaisir que ses traducteurs ont accompli un travail remarquable, qui faisait dire à Jean Cocteau, fin connaisseur, que "Lovecraft est encore mieux, si possible, en français qu'en anglais." ;o)