Décidément, 2012 est une élection basée sur les vieilles recettes ! Sarkozy a décidé de dépoussiérer son discours de droite afin de rameuter un électorat qui semble pourtant l’avoir déjà bien déserté. Hollande, comme je le notais dimanche, a ressorti le programme de 1981 et, une fois débarrassé de sa naphtaline, tente de nous le vendre comme neuf. Et bien évidemment, Le Pen nous refait le coup des signatures…
Certes, cette fois, c’est la fille et non le père qui nous ressort le discours habituel de la complexité inouïe pour les candidats comme elle de trouver les cinq cents parrainages, mais on a déjà entendu cette musique à toutes les élections précédentes.
Ainsi donc, Marine Le Pen aurait toutes les difficultés du monde à récupérer les précieux gribouillis d’élus sur le territoire français. Rappelons que cette règle de la 5ème République impose de trouver 100 signatures, puis 500 signatures à partir de 1976, pour pouvoir se présenter aux élections présidentielles. Le but est évidemment d’éliminer les candidatures fantaisistes, car tout le monde sait que si l’on ne fait pas ça :
- des centaines de candidats se bousculeront (mais si, puisqu’on vous le dit)
- ils seront tous plus ridicules les uns que les autres (voyons, c’est déjà le cas avec ceux qu’on a maintenant, imaginez avec plusieurs poignées supplémentaires)
- les Français seront incapables de faire un choix éclairé dans la masse de candidats proposés.
Et force est de constater que cette règle a plutôt bien fonctionné puisque depuis qu’elle est en place, le nombre de candidat n’arrête pas d’augmenter (seize en 2002 !). Ajoutons que lorsque la règle est passé de 100 parrainages à 500, elle aura aussi eu le bonheur d’éliminer Le Pen (le père) pour les élections de 1981, ce qui montre de façon assez claire qu’une élimination du candidat de l’extrême-droite n’est pas complètement impossible : elle a déjà eu lieu.
Bref : le parrainage, c’est trop de la balle.
Sauf que justement, la probabilité d’une élimination de Marine Le Pen avant même le premier tour laisse planer un doute sur le bon fonctionnement de la démocratie en France. Enfin, c’est un peu comme ça que François Bayrou présente la chose, en expliquant qu’il faudrait, dans l’hypothèse où la Frontiste ne pourrait se présenter, que les candidats se concertent pour discuter du problème. (Au passage, on ne voit pas trop bien ce que ces discussions et cette concertation apporterait à la présidente du Front National.)
Et voilà donc que Bayrou a sorti le chat de son sac : la question des parrainages est à présent remise sur la place publique, d’autant que le leader du Modem propose d’y substituer une version citoyenne, où 500.000 signatures d’électeurs permettrait au candidat d’être inscrit dans la course aux présidentielles.
Passer d’une distribution de bisous au niveau des élus à une distribution de bisous au niveau des électeurs, c’est effectivement un net mieux puisque les pressions politiques seraient moins importantes. Et puis, un demi-million de bisous, qui peut refuser ça ?
Eh bien apparemment, tout le monde. Ou, disons, les principaux représentants de la politocratie française qui, eux, n’ont pas de problème pour récolter les bisous officiels des élus.
Evidemment, en pratique, ils ne se sont pas exprimés sur l’idée des signatures citoyennes de Bayrou, mais se sont contentés d’expliquer que la proposition du centriste était une nouvelle et infâme bidouille et que puisque les règles étaient claires, on ne devait surtout pas trouver un moyen d’aider la candidate à surpasser ce petit inconvénient bien légitime dans une démocratie vigoureuse mais qui sait ne pas s’embarrasser de candidats fantaisistes.
Moui.
En clair, c’est non, tant à droite qu’à gauche, le flop total pour Bayrou. Bien que tous sachent ici que Marine Le Pen représente plusieurs millions d’électeurs, aucun ne veut prendre le risque de la voir faire un score honorable voire destructeur en l’aidant à rassembler ses parrainages.
Jouant sur la fibre du « Bah, elle bluffe, elle les aura », tout le monde retourne bien vite à ses petits jeux mais ne se pose pas la question des conséquence d’une absence de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle.
Car en réalité, Marine Le Pen absente au premier tour prouverait d’une façon claire que les pressions sur les élus existent bel et bien. Que certains des candidats ou leurs équipes de campagne remettent en cause la crédibilité même de Marine Le Pen est assez amusant : celle-ci n’a pas cessé, dans les derniers mois, de sortir tout l’attirail social-démocrate voire socialiste, tant et si bien qu’à quelques points typiquement nationalistes et là pour des raisons historiques, son programme ressemble fort à celui d’autres candidats, tant dans les extrêmes qu’ailleurs dans le spectre politique. Quant aux sondages, ils la placent suffisamment haut pour que ses frais de campagne lui soient remboursés, ce à quoi certains candidats prétendument crédibles ne peuvent pas encore aspirer, loin s’en faut.
Bref : si elle n’était pas crédible, un paquet d’autres candidats ne le seraient pas non plus et on gagnerait un temps fou en n’organisant qu’un seul tour.
Le problème de crédibilité étant écarté, le bluff ne semblant pas réaliste (l’explication des pressions étant parfaitement crédible), la réaction des candidats et de leurs appareils de campagne n’est alors plus qu’une pure question de stratégie, voire d’hypocrisie.
De stratégie puisque chacun d’entre eux a fait le calcul que des électeurs de Le Pen qui ne peuvent voter pour elle, ce sont, au moins en partie, des électeurs qui redeviennent disponibles pour eux. Pour ma part, je pense que ce calcul est risqué et probablement vrai seulement sur une frange étroite de l’électorat frontiste. Stratégiquement, Le Pen qui ne se présente pas, c’est probablement une abstention qui grimpe, et une grogne qui monterait d’un coup.
Il reste l’hypocrisie. Ici, elle me semble patente : tous ces candidats ne sont pas les derniers à parler du peuple français, à s’en réclamer. Aucun n’aimerait qu’on le taxe d’ennemi de la démocratie, ou d’adversaire ouvert à l’expression populaire. Chacun d’entre eux expliquerait sans mal, la main sur le coeur, que le peuple doit pouvoir s’exprimer aux élections, surtout aux présidentielles, si importantes. Chacun assurerait de son indéfectible soutient à la démocratie.
Mais il n’y a plus personne lorsqu’il s’agit de constater que le système ne fonctionne pas, qu’il écarte même des candidats légitimes, et qu’il contient même en son sein les prémices de troubles évidents comme la grogne des électeurs frontistes qui, à force de ne pouvoir s’exprimer dans les urnes, risque bien de le faire dans la rue…
…
Oui, il est assez probable que Marine Le Pen aura ses signatures. Mais oui aussi, il semble évident que sa candidature gêne énormément, tant à droite qu’à gauche, et que beaucoup sont largement prêt à piétiner la « démocratie » pour s’assurer une place plus facile dans la course au trône élyséen.
Je trouve, pour ma part, que ça en dit bien plus long sur la qualité des candidats qui ont déjà leurs grigris que sur la crédibilité de Marine Le Pen.