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Le "Best Ouf" des Chevaliers du Fiel

Par Gjouin @GilbertJouin

La Cigale
120, boulevard Rochechouart
75018 Paris
Tel : 01 49 25 81 75
Métro : Anvers / Pigalle
Spectacle écrit par Eric Carrière
Interprété par Eric Carrière et Francis Ginibre
Le thème : Le « Best Ouf » des Chevaliers du Fiel est à la fois un concentré du meilleur de leurs sketchs et un zapping géant de leurs plus grands moments de délires, dont nombre d’inédits, et de surprises. Le tout à un rythme de folie, d’où l’appellation « Ouf » plutôt que « Of »…
Ce qui explique leur incroyable popularité, c’est qu’ils cherchent toujours à s’amuser en dénonçant la bêtise, la beaufitude, les préjugés, la veulerie, la ringardise, le militantisme, les postures, les modes et l’absurdité ambiantes en les incarnant plein pot et sans complexes, avec jubilation et surtout irrévérence…
Mon avis : Bientôt trente ans qu’Eric Carrière et Francis Ginibre se sont acoquinés pour créer Les Chevaliers du Fiel. Si leur première apparition sur une scène parisienne remonte à 1992, leur tout premier spectacle date de 1984. A l’approche de leurs Noces de Perle, on peut dire que leur duo est plus que parfaitement rôdé. Personnellement, je les ai rencontrés en 1995. C’était à l’époque où leurs moyens ne leurs permettaient de se déplacer qu’en Simca 1000, un véhicule qui, par ailleurs, ne leur servait pas qu’à tailler la route et qu’ils utilisaient parfois à d’autres fins (d’autres faims ?). Ils étaient encore mal dégrossis et le contenu de leurs sketchs était assez inégal. Je les ai donc toujours suivis du coin de l’œil – car ils se produisaient le plus souvent dans le Sud-ouest de la France où ils sont très tôt devenus de véritables stars, alors que le public parisien se montrait bizarrement plutôt frileux à leur égard – et, en assistant à chacun de leurs nouveaux spectacles, j’ai pu mesurer combien ils progressaient et, surtout, combien ils bossaient. Ils n’ont, à mes yeux, jamais cessé de s’améliorer jusqu’à nous fournir des shows absolument impeccables de bout en bout (L’assassin est dans la salle, Repas de famille, La brigade des feuilles, Vacances d’enfer).
C’est donc nantis d’un sacré « matos » qu’ils ont décidé, après vingt ans de professionnalisme, de nous offrir une sorte de compil’ de leur œuvre, ce fameux « Best Ouf ». Tels L’Opportuniste de Jacques Dutronc, Eric et Francis ont eu le talent de retourner leur Best du bon côté, c’est-à-dire en nous proposant le meilleur ; un choix qui n’a pas dû être très aisé à faire.
On mesure déjà le chemin parcouru à leur entrée en scène et à leur tenue. Leur apparition, très rock’n’roll, est digne des Blues Brothers. Costume sombre, chemise blanche et cravate noire, ray-bans… Ils sont très élégants ! Ceci dit, après un prologue musical qui leur permet de se chauffer et nous avec, très vite, Eric Carrière va mettre sa veste off pour incarner Jean-Pierre Mouniès, un homme politique qui va nous présenter le programme de sa formation, « Le Sud aux Sudistes, un programme dont les deux principaux piliers sont « l’ouverture et la tolérance ». Sous la bonhommie apparente, la dose de fiel commence à faire son effet. Autant le discours se veut chauvin, vanneur et un tantinet idéaliste, autant il contient en filigrane bon nombre de vérités et d’observations non dénuées de bon sens. Sa conclusion, avec un tour d’Europe dévastateur est un bijou de drôlerie vacharde. Ce sketch qui, je crois, est inédit, est en totale adéquation avec la campagne présidentielle qui se profile. Des opportunistes, je vous dis !
Ensuite, place au florilège… Un extrait de La brigade des feuilles, le salon de coiffure, les chasseurs, le loup et la marmotte, les Gitans, l’irradié… Nous sommes, pour notre plus grande joie, en terrain connu. Ils nous offrent en outre un savoureux intermède dans lequel le maire de Castelnau, candidat à sa propre succession, se paie pour réussir sa campagne les conseils d’un coach en communication parisien… J’ai beaucoup aimé aussi comment, à travers une saugrenue conversion à l’Islam, ils en arrivent à parler des religions. Sans en avoir l’air, c’est très fin et bien observé. Comme toujours, les sketchs sont remarquablement écrits et les situations tout à fait drolatiques.
En fait, de « Chevaliers », ils n’en ont que le nom. Ils ne sont en réalité pas vraiment chevaleresques, surtout vis-à-vis de la gent féminine. Les épouses des différents personnages qu’ils incarnent sont particulièrement gratinées et ils ne se privent pas de les habiller pour plusieurs hivers. Quant à eux, plus beaufs qu’eux, tu meurs. Ils critiquent sans vergogne les autres et les systèmes sans jamais se juger eux-mêmes, eux qui sont alcooliques, flemmards, menteurs, lâches, misogynes et profondément bêtes. Le fiel leur est tombé sur la tête
Pour ce qui me concerne, j’eus aimé un peu plus d’extraits de leurs spectacles, de repas de famille, entre autres. J’ai trouvé – même s’ils ont tous deux de beaux organes – qu’ils faisaient une trop grande place à la chanson. Je me serais passé de ce petit défilé de chanteurs régionaux et également de la prestation du Petit Chanteur à la Croix de Bois (l’idée est excellente, mais il y manque un petit quelque chose)… En revanche la prestation érotico-narcissique de Steve Pujade, le latin lover chaud comme la braise, est tout à fait convaincante. Et puis, il y a aussi cette superbe évocation de Claude Nougaro, pleine d’amour et de poésie qui est un des plus beaux moments du Best Ouf, un véritable moment de communion.
Pendant deux heures, nos deux énergumènes s’en donnent à cœur joie. Leur lune de fiel n’est sans doute pas près de s’arrêter tant leur complicité est palpable et fait plaisir à voir. A l’aise dans tous les registres, ils sont heureux ensemble sur scène. Le partage des tâches est parfaitement réparti, leurs numéros parfaitement au point. Y compris lorsque survient un « malencontreux » trou de mémoire. Leur façon de l’exploiter est tout simplement irrésistible… Avec leurs propos le plus souvent cavaliers, ces Chevaliers-là ne sont pas des adeptes de l’amour courtois. Quand ils s’installent devant une table ronde, c’est pour y boire le Ricard et la seule croisade qu’ils entreprennent, c’est contre la connerie… Bref, avec eux, on est assuré de passer une soirée pleine d’humour, de cocasserie, de dérision, d’absurdité, de vraie déconne, sans toutefois occulter que, dans la plupart de leurs sketchs, il y a une belle dose de fond.

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