En marchant dans le froid, il m'était impossible de déterminer si je jouissais alors de l'instant ou si j'étais complètement fini. J'avais pourtant le pas fier, et une certitude: j'avais enfin tourné la page sur ma culpabilité. J'étais peut-être même maintenant quelqu'un de bien, si tant est que cela veuille dire quoi que ce soit. Mon psychiatre, lors de nos dernières séances, m'en avait fait la remarque:
"Qu'est-ce que tu entends par être quelqu'un de bien?
-Je ne sais pas. Être autre, simplement. Je pourrai dire le costard-cravate, le break les gosses et la baraque."
Peut-être qu'en fait ma réplique ne faisait que cacher une profonde angoisse: à la fois celle de parvenir à cela, peut-être même de me sentir accompli et de n'avoir rien d'autre à faire que des crédits en attendant la mort; et aussi justement ne jamais trouver cette paix du foyer que l'on construit, des jours passés ensemble avec leurs hauts et leurs bas. Il est vrai, depuis environ un mois j'ai relayé mon absurdité au second plan. Je reprends goût à l'écriture et trouve même que mes derniers vers ne sont pas les plus mauvais que j'aie pu écrire. Je prenais en grande partie plaisir dans mon travail sans pour autant que ça ne définisse pas mon identité. Trouvant mes cours ennuyeux à en mourir, je préférais passer mon temps à la bibliothèque universitaire pour étudier dans mon coin tout et n'importe quoi: depuis quelqu'un temps, un bouquin de psychologie sur le développement émotionnel de l'enfant. Je n'avais pas vraiment l'occasion de profiter de ma jeunesse et je n'avais plus non plus le temps de me tasser sur moi-même. Je n'avais même plus de temps à moi.
Je regardais ses yeux, buvais sa conversation, admirait les contours de sa silhouette. Vaguement, je me suis dit qu'il n'aurait fallu que quelques mois de patience pour atteindre cette vie typiquement estudiantine. Se retrouver le soir et se raconter chacun sa journée, attendre le week-end et son repos ou ses moments de détente, pouvoir se projeter dans les mois et années à venir. Sans que je ne me fasse d'illusions, cette rêverie avait sur le coup un goût sucré, savoureux.
C'était cette vie que je voulais. La nuit j'ai continué à fumer de l'herbe et à écrire. Les phrases coulaient naturellement comme des ongles qui s'enfoncent dans le dos pendant l'amour. Le matin, dans le bus, j'étais à nouveau complètement perdu. Autant je reste certain de la nécessité du choix, de son importance et de l'impact qu'il peut avoir sur tout le reste de notre existence, autant les choix que j'aurai à faire dans les temps à venir me paraissaient insurmontables. D'un côté, je pouvais toujours continuer mon bonhomme de chemin, en finir avec cette licence et aller me prendre pour un écrivain au sein de la capitale. D'un autre je me disais Paris, mais quelle importance? et pensais que je pouvais tout aussi bien en finir là avec mes études et éventuellement continuer ce début de carrière. Rester trente ans au sein de la même enseigne, évoluer ou non. Dans un premier temps, pouvoir prendre un appartement au plus vite, et que le reste suive.
Je crois que le pire est le fait que la responsabilité de ce choix m'incombe entièrement. Je ne veux plus me permettre de replonger dans la vodka en attendant que les évènements se passent et échouent pour la plupart. Là , je suis simplement terrorisé. Seul et terrorisé. J'avale deux autres cachets pour combattre la douleur et trouve une once d'espoir: qu'un quelconque élément puisse faire pencher la balance. Non pas une bouée de sauvetage, je me suis en grande partie sauvé du gouffre et en regarde le bord avec un sourire, mais une porte à ouvrir, quelle qu'elle soit. Pour ainsi dire, j'attends mon séjour au centre anti-douleur la semaine prochaine presque avec impatience: faire le point, peut dénouer quelques noeuds.
Je sens de l'espoir au bout de mes doigts. Lequel exactement, je n'en sais foutre rien.