Peut-être faut-il voir dans cette ambition – et « ambition » n’a rien de péjoratif – la justification du court essai qu’il vient de publier, dans lequel il formule quarante propositions pour refonder la politique culturelle de la France : Le Petit livre rouge de la culture (Flammarion, 112 pages, 12 €).
Titre assez saugrenu, convenons-en. Car la référence au florilège de niaiseries du « Grand timonier » (dont j’avais donné quelques exemples en 2008 dans le compte rendu du beau livre que Virginie Linhart avait consacré à son père) semble assez malvenue, lorsque l’on sait la manière radicale avec laquelle Mao fit table rase de l’héritage culturel chinois, plusieurs fois millénaire et que se comptent par dizaines de millions les cadavres sur lesquels son régime a reposé. Romain Gary avait surnommé Le Petit livre rouge : « le Mein Kampf de Mao ». C’était judicieux. Mais nous n’avons ici, heureusement, pas affaire ici à un Mein Kampf de la culture.
« Face à une droite plus encline au divertissement culturel, aux coups médiatiques et au conservatisme, note l’auteur, la gauche a le devoir d’aller à l’encontre du courant dominant – la seule loi du marché – et de se réapproprier la culture comme enjeu de civilisation. »
Le lecteur restera davantage sur sa faim face à la proposition de « développement de services musicaux en ligne à prix réduit » dans la mesure où Christophe Girard se garde bien de préciser clairement s’il est ou non favorable au maintien de l’Hadopi, organisation coûteuse, fondée sur un dispositif pouvant à terme devenir dangereux pour les libertés et qui était dépassé, tant d’un point de vue technologique que marketing, avant même que la loi Création et Internet eût été promulguée. Or, ne nous berçons pas d’illusions ; tant que cette loi restera en vigueur, la mise en place d’une offre attractive sera freinée par la rapacité de certains détenteurs de droits, tel ce représentant de la SACEM qui avouait dans un entretien (voir l’article complet ici) : « Pour le moment, le 0,99 € par morceau est incontournable, puisqu’il y a concurrence du gratuit. Si demain il n’y a plus d’échanges illicites, les prix pourront augmenter et on serrera dans le même temps le cou aux fournisseurs. »
Le « plan national d’éducation artistique » de la Maternelle à l’Université retiendra davantage l’attention, plus sans doute pour son projet d’éducation à l’image, permettant de développer le sens critique que pour la création de résidences d’artistes à l’école dont on perçoit moins bien les réels avantages. On lui préférera sans doute d’autres propositions, de développement d’espaces de création, d’ateliers-logements pour les artistes, tel le projet de la Tour Médicis d’Aubervilliers et l’extension du 1% artistique aux grands chantiers.
L’absence d’un chiffrage de ce programme est tout à fait regrettable, mais une autre absence l’est bien davantage : nulle part il n’est ici question d’exclure les œuvres de l’esprit de l’article 227-24 du Code pénal, lequel sert aux groupuscules intégristes et à la gauche bien-pensante pour, sous couvert de « protection des mineurs », censurer artistes et commissaires d’exposition pour le caractère prétendument « pornographique » ou d’« atteinte à la dignité humaine » des œuvres qu’ils présentent au public. Or, à quoi servirait d’encourager la création si, dans le même temps, on laissait aux censeurs leur volonté de normalisation sociale et leur pouvoir de nuisance ? L’affaire consternante de l’exposition Présumés innocents aurait dû retenir l’attention de l’auteur, de même que l’interdiction aux mineurs de la rétrospective Larry Clark au Musée d’Art moderne dont il avait pris l’initiative pour, avait-il souligné, protéger la Mairie de Paris d’éventuelles poursuites judiciaires. Le silence du livre sur ce point crucial, allié à cet acte d’autocensure qui, comme le notait l’avocat Emmanuel Pierrat, donnait un très mauvais exemple en incitant de facto les structures culturelles à interdire des expositions d’art contemporain pour les mêmes raisons, inquiète. L’audace d’un programme se mesure moins à la transformation de la rue en fête permanente qu’à la défense d’une liberté d’expression non négociable, celle des artistes. Et l’exclusion explicite des œuvres de l’esprit du champ d’application de l’article 227-24, en faisant disparaître l’épée de Damoclès qui menace à tout moment les créateurs, est une réforme peu coûteuse au regard du service qu’elle rendrait à l’art contemporain.
Illustrations : Bouke de Vries, Skullface Mao, 2012 - Qiu Jie, Portrait de Mao.