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La prière du coeur

Par Claude_amstutz

Madeleine Delbrêl

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Pour être un bon danseur, avec vous comme ailleurs, il ne faut pas savoir où cela mène. Il faut suivre, être allègre, être léger, et surtout ne pas être raide. Il ne faut pas vous demander d’explications sur les pas qu’il vous plaît de faire. Il faut être comme un prolongement, agile et vivant de vous, et recevoir par vous la transmission du rythme de l’orchestre. Il ne faut pas vouloir à tout prix avancer, mais accepter de tourner, d’aller de côté. Il faut savoir s’arrêter et glisser au lieu de marcher. et cela ne serait que des pas imbéciles si la musique n’en faisait une harmonie. Mais nous oublions la musique de votre esprit, et nous faisons de notre vie un exercice de gymnastique; nous oublions que, dans vos bras, elle se danse, que votre Sainte Volonté est d’une inconcevable fantaisie, et qu’il n’est de monotonie et d’ennui que pour les vieilles âmes qui font tapisserie dans le bal joyeux de votre amour. 

Seigneur, venez nous inviter. Nous sommes prêts à vous danser cette course à faire, ces comptes, le dîner à préparer, cette veillée où l’on aura sommeil. Nous sommes prêts à vous danser la danse du travail, celle de la chaleur, plus tard celle du froid. Si certains airs sont souvent en mineur, nous ne vous dirons pas qu’ils sont tristes; si d’autres nous essoufflent un peu, nous ne vous dirons pas qu’ils sont époumonants. Et si des gens nous bousculent, nous le prendrons en riant, sachant bien que cela arrive toujours en dansant. Seigneur, enseignez-nous la place que, dans ce roman éternel amorcé entre vous et nous, tient le bal singulier de notre obéissance. Révélez-nous le grand orchestre de vos desseins, où ce que vous permettez jette des notes étranges dans la sérénité de ce que vous voulez. Apprenez-nous à revêtir chaque jour notre condition humaine comme une robe de bal, qui nous fera aimer de vous, tous ses détails comme d’indispensables bijoux.

Faites-nous vivre notre vie, non comme un jeu d’échecs où tout est calculé, non comme un match où tout est difficile, non comme un théorème qui nous casse la tête, mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle, comme un bal, comme une danse, entre les bras de votre grâce, dans la musique universelle de l’amour.

Seigneur, venez nous inviter.

Madeleine Delbrêl, Nous autres gens de rues (coll. Livres de vie/Seuil, 1995)


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