Les mois de février et mars sont peut-être synonymes de neige et froid pour certains, pour moi ils annoncent le retour annuel du Tournoi des VI Nations, la fameuse compétition de rugby que je ne raterai pour rien au monde. Et même si cette année 2012 sera particulièrement riche en compétions sportives en tous genres, cette manifestation rugbystique reste ma préférée.
Le rugby reste un des derniers sports à n’être pas complètement gangrené par l’argent, par comparaison avec le football par exemple, et si on poursuit la comparaison il reste éloigné des violences sur le terrain comme des bagarres entre supporters. « Le rugby, un sport de voyous joué par des gentlemen » pour reprendre la formule consacrée.
Un tel miracle à notre époque, ne peut qu’être loué. Peut-être le doit-il à sa relative confidentialité, pratiqué par les six nations de l’hémisphère Nord, Angleterre, Pays de Galles, Irlande, Ecosse, France et Italie, ainsi que par celles de l’hémisphère opposé, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, quelques îles alentours et l’Argentine, voici grosso modo les principaux pays qui s’adonnent à ce sport au haut niveau.
Pour en revenir au Tournoi, c’est avec la télévision que je l’ai découvert, Roger Couderc m’y ayant converti avec son fameux « Allez les petits ! », cri de guerre pour encourager nos Bleus que je ne voyais qu’en Noir et Blanc à l’époque. Je ne citerai pas tous les joueurs que j’ai admiré, disons pour simplifier qu’il s’agit presque toujours des cavaliers légers des lignes de trois-quarts, de Gachassin hier à Clerc aujourd’hui, je ne connais rien de plus beau qu’une course d’ailier ballon sous le bras, à l’issue d’une attaque générale déployée sur toute la largeur du terrain, prenant son vis-à-vis à contre-pied pour aller aplatir un essai en coin. Rien que d’écrire cette phrase, j’en ai les poils des bras qui se dressent. Le rugby reste donc pour moi le plus beau sport qui soit, ici le mot équipe prend toute sa valeur, les gros devant, les rapides et agiles derrière (encore que cette image ait pas mal évoluée avec les années), les mains et les pieds sont autorisés et la tête n’est pas la moins utilisée. Les règles sont complexes, pas évidentes quand on ne pratique pas et qu’on est que spectateur comme moi, mais ça fait partie du charme, cette incompréhension d’un coup de sifflet de l’arbitre expliquée ensuite par le journaliste à la télé.
Si je ne m’en tenais qu’au sport en lui-même je serais déjà comblé, mais il y a aussi tous les à-côtés. La fête générée par l’évènement, les supporters bons enfants en bandes bruyantes mais sympathiques aux couleurs de leur équipe, la troisième mi-temps dans les pubs où coule la bière blonde ou brune, les deux clans s’y retrouvent pour des discussions sans fin où il est question d’en-avant sifflé à tort, d’essai litigieux accordé, bref on rejoue un match imaginaire aussi passionnément que celui disputé il y a quelques heures à peine par une trentaine de types en culottes courtes devant des milliers d’admirateurs s’époumonant à les encourager.
Car le spectateur n’est pas le dernier à participer à cette joie générale, les chants y ont une place prépondérante. Dans le Tournoi, les équipes sont majoritairement d’outre-Manche, pour la petite histoire la compétition date de 1882 et ne concernait que les Britanniques, la France fut admise en 1910 et l’Italie en 2001 seulement, et questions chants ces foules savent y faire.
Swing Low, Sweet Chariot pour les Anglais, « cette chanson fit son apparition lors du dernier match de l'Angleterre de la saison 1987-88 contre l'Irlande au Stade de Twickenham. L'Angleterre avait alors perdu 15 de ses 23 derniers matches dans le Tournoi des cinq nations et les spectateurs de Twickenham n'avaient vu qu'un seul essai anglais en deux ans. L'Irlande menait 3-0 à la mi-temps, mais les Anglais se réveillèrent en seconde période, et inscrivirent 6 essais pour gagner 35-3. Trois des essais vinrent de Chris Oti, un joueur noir qui faisait ce jour-là ses débuts à Twickenham. Un groupe venu de l'école bénédictine de Douai (en Angleterre) commença à chanter l'hymne gospel favori de leur club de rugby, le Swing Low, Sweet Chariot, en honneur de leur nouveau héros, et tout le stade se joignit à eux. Depuis, les spectateurs anglais, entonnent ce chant, devenu l'hymne officieux du XV de la Rose, dès que leur équipe prend le dessus dans un match. »
On pourrait aussi évoquer le Land Of Our Fathers des Gallois ou bien les Flowers Of Scotland des Ecossais, tous chants magnifiques autant qu’émouvants quand ils sont entonnés par un stade entier. Si ces hymnes ne suffisent pas à identifier les supporters et leur provenance, les emblèmes seront la preuve irréfutable de leur identité nationale, la rose pour les Anglais, le chardon pour les Ecossais, le trèfle pour les Irlandais, le poireau pour les Gallois et notre coq pour les Français.
Le Tournoi des VI Nations symbolise à mes yeux ce qui subsiste encore des anciennes traditions européennes en provenance des îles britanniques, ce folklore désuet et ces traditions ancestrales, cette adversité compétitive mais amicale entre peuples, l’effort collectif et les joies ou les peines des foules, le tout se résumant in fine, à une ou plusieurs pintes de bière entre amis au milieu des chants et des rires. La vie rêvée des anges.