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Limonov

Publié le 14 février 2012 par Urobepi

Limonov“Tout de même quel écrivain que ce Carrère”. Cette réflexion, à vrai dire, je n’ai cessé de me la faire tout le temps que j’ai consacré à la lecture de cette biographie du poète-aventurier-politicien russe Edouard Limonov. D’abord, Limonov, je n’en avais jamais entendu parler. Et, soyons clairs, si la prose de Carrère ne laisse pas de m’impressionner par sa fluidité, le sujet dont il traite ici m’a paru quant à lui éminemment antipathique.

Édouard Limonov (né Savenko) n’est à tout prendre qu’une petite frappe dont la seule ambition est de s’illustrer par n’importe quel moyen: si ce n’est par la littérature, ce sera par les armes.

Je résume. Il est encore dans la jeune vingtaine lorsqu’il quitte son Ukraine natal pour tenter sa chance dans l’underground de Moscou à l’époque du très sémillant Léonid Brejnev. La renommée tardant à se concrétiser, c’est sans surprise qu’on le retrouvera plus tard à New-York, exilé volontaire poursuivant toujours la même chimère, celle de sa célébrité. Il y connaîtra comme on dit, trente-six métiers, trente-six misères. Et puis, enfin le signal tant attendu lui vient de Paris. On s’intéresse à ses écrits. Il accourt.

Après quelques années jalonnées de succès littéraires relatifs en France, retour au pays sur fond de perestroïka. Son parcours par la suite s’emballe: Sarajevo, de nouveau Moscou, puis Paris, retour aux Balkans, tournée au Kazakhstan, au Turkménistan, au Tadjikistan, en Ouzbékistan. Notre homme se cherche une cause. Il faut dire qu’il a fondé avec quelques joyeux drilles de ses amis aux crânes rasés un mouvement appelé “Parti national bolchevique”. Tout un programme.

Politiquement, Limonov se fait, pour ainsi dire, un devoir d’être à l’opposé de la majorité: Il est à l’extrême droite lorsque tout le monde est à gauche, et inversement. Il fait l’intéressant, revêt des opinions politiques comme des vêtements dont il peut changer au gré de sa fantaisie ou de l’interlocuteur: bref, c’est un poseur. Ce qui ne l’empêche pas de rêver secrètement à la restauration de l’Empire qui, dans son esprit, n’a jamais été aussi grand que durant les années les plus sombres du régime soviétique. J’exagère à peine. Bon, c’est vrai, il y a eu des morts, des prisonniers d’opinion, de la répression mais qu’est-ce qu’on était fiers de notre patrie tout de même. En cela, il n’est pas très éloigné de son compatriote Vladimir Poutine qui a simplement le tort d’être plus célèbre que lui. Tout cela, Carrère le relève fort justement.

On l’aura compris, je ne me suis pas trouvé beaucoup d’atomes crochus avec le compère Limonov. Reste la prose lumineuse de Carrère et sa manière unique d’écrire qui tient sans doute beaucoup à la façon qu’il a de se mettre en scène tout en racontant l’histoire de quelqu’un d’autre. Je ne sais pas si ce procédé porte un nom mais, à défaut d’en connaître l’étiquette, je qualifierais son travail de “biographie subjective”, une méthode dérivée de celle de Truman Capote et ses “romans de non fiction”, dit-on. Puis, il y a l’incroyable limpidité, j’allais dire “la musicalité” de sa prose. Car c’est bien de musique qu’il s’agit, de phrases dotés d’une mélodie et d’une rythmique propre. Un exemple? En voici une, de phrase, qui s’étire comme une longue mélopée. Savourez:

Il allait peut-être vieillir dans la peau d’un écrivain de second plan, à la réputation agréablement sulfureuse, que ses collègues regardent avec envie dans les salons du livre parce qu’il attire les jolies filles un peu destroy et qu’ils lui prêtent une vie plus colorée que la leur, mais en réalité il habite une soupente avec une chanteuse alcoolique, vide les poches de ses habits pour voir s’il a de quoi s’acheter une tranche de jambon et se demande avec angoisse quels souvenirs il lui reste à accommoder pour son prochain livre, car la vérité est qu’il est arrivé au bout, il a pratiquement tout débité de son passé, il ne lui reste que le présent, et le présent c’est cela: pas de quoi pavoiser, surtout quand on apprend que cet enculé de Brodsky vient d’avoir le prix Nobel. (p. 237)

Ouf! Voyez comme c’est long mais comme, paradoxalement, ça coule tout seul. L’écriture est-elle une tâche ardue pour Carrère? Je n’en sais rien, mais ce que je sais par contre c’est qu’en général, cette simplicité apparente du discours ne s’acquiert qu’au prix d’un immense travail. Et, spontanément, lorsque j’essaie de trouver au Québec quelqu’un qui professe un amour aussi inconditionnel pour la langue et qui polit ses phrases comme on fait reluire du cristal, c’est à Pierre Foglia, le journaliste, que je pense. J’ai donc été particulièrement étonné de voir ce dernier, non pas éreinter, mais carrément assassiner (“shut down in flames’, comme disent les chinois) l’œuvre de Carrère au détour d’une phrase, comme il lui arrive souvent de le faire. Voir ici et ici. Je ne partage pas cette opinion voulant qu’une œuvre jouissant d’une immense popularité soit nécessairement médiocre et qu’il faille la dénigrer. Fait à noter, sur cette question, Foglia et Limonov se ressemblent étrangement par le dédain qu’ils affichent tous les deux envers ce qui fait consensus.

Une biographie à lire (malgré les faiseurs d’opinion) pour le plaisir de se laisser enivrer par les histoires d’un conteur d’exception. Peut-être aimerez-vous également découvrir son livre précédent: D’autres vies que la mienne.

Limonov

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Ceci dit, est-ce que la biographie de Carrère m’a donnée l’envie de découvrir l’œuvre de Limonov? À vrai dire, pas du tout. Mais, vous allez rire, je passe l’autre jour à ma bibliothèque de quartier et qu’est-ce qui m’attend, bien en vue sur le rayon des nouveautés? Le journal d’un raté d’Édouard Limonov, un de ses textes les plus importants qui date de 1982, en réimpression bien sûr, la maison d’édition ayant visiblement profité du regain d’intérêt suscité par le livre de Carrère. J’emprunte, évidemment.

Première constatation: La page titre nous indique “Roman’ alors que le texte tient beaucoup plus du recueil de pensées, il me semble. Pascal à l’envers. Il raconte les années de plomb que l’auteur a vécues à New-York, ses premières années d’exil. Ce que j’en ai pensé? Pas grand chose, si ce n’est que sa prose onirique a résonné en moi comme un écho lointain, et pour tout dire, amoindri, des Chants de Maldoror de Lautréamont. On élève la cruauté en vertu et on déploie un maximum d’efforts pour choquer les bien-pensants et les “matantes”. Rien pour me rendre le compère plus sympathique. J’abandonne assez tôt.

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CARRÈRE, Emmanuel. Limonov. Paris: P.O.L., 2011, 489 p. ISBN 9782818014059 (Prix Renaudot 2011)

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