A un précédent rendez-vous, envisageant avec vous, ici devant la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, un ensemble de quatre fragments peints arrachés au mastaba de Metchetchi ayant des porteurs d'offrandes comme thème principal, j'avais attiré votre attention, souvenez-vous, sur uniquement les deux premiers d'entre eux, E 25530 et E 25536, en fait réassemblés par les Conservateurs qui furent chargés de la mise en valeur de cette collection que le musée venait d'acheter dans les années soixante du siècle dernier. Et je vous avais promis que nous reviendrions par la suite sur les deux autres éclats, de taille plus réduite, mais également en piètre état, E 25529 et E 25514
Commençons, voulez-vous, par le premier d'entre eux, E 25529,
qui ne nous donne à voir - partiellement, puisqu'à peine conservés jusqu'à mi-corps - deux des serviteurs de Metchetchi, probablement du même défilé, se dirigeant vers la gauche, et dont le second présente un plateau d'aliments dont j'ignore la teneur, les dégradations subies par la couche de peinture ne me permettant pas d'en déterminer les éléments constitutifs.
L'aspect général de la composition laisserait supposer, d'un premier et rapide coup d'oeil, qu'un couvercle semi-sphérique protège un petit monticule de vivres. En réalité, je n'en suis pas persuadé. Car si j'établis un parallèle avec le tracé préparatoire visible pour dessiner la tête du premier personnage, je me demande si, ce que nous pourrions erronément prendre pour une "cloche à fromages" protectrice contre moustiques ou fortes chaleurs n'est pas tout simplement un arc de cercle corrigé par le maître d'oeuvre pour guider et inciter son scribe des contours en charge de la scène à respecter cette forme hémicirculaire à l'intérieur de laquelle il eût voulu que pains, fruits ou autres ingrédients prissent place ...
Mais ceci ne constitue qu'une interprétation personnelle qui ne demande qu'à être
confirmée ... ou infirmée.
Dans le long meuble vitré accroché sur le mur nord de la salle 5,
le second et dernier fragment à propos duquel j'aimerais ce matin vous entretenir a été placé au-dessus à droite du précédent Il porte le numéro d'inventaire E 25514
Même si la scène est incomplète, cet éclat me semble bien plus intéressant dans la mesure où cette fois l'homme conduit un animal vivant vers Metchetchi, un jeune oryx, comme l'indiquent les hiéroglyphes encore lisibles au-dessus, - mahedj, "gazelle blanche", étant le nom que les Égyptiens lui attribuèrent -, d'une beauté et d'une délicatesse de traits qui nous eussent probablement ravis davantage encore si la figuration nous était parvenue intacte, la finesse et le détail de ses longues cornes parallèles et incurvées vers l'arrière laissant présager la gracilité qu'eût pu nous revéler le corps entier ...
Hormis ces considérations esthétiques, certes d'importance, ce qui me sied pour l'heure, c'est l'opportunité que m'offre la pièce d'évoquer pour vous, succinctement dans un tout premier temps, cet animal typique du désert africain, lourd de symboles mythologiques, qu'est l'oryx.
Souvent associé à la gazelle, souvent aussi considéré comme antilope alors qu'il ne fait pas vraiment partie de sa famille, il fut, dès les temps archaïques, prisé à la Cour ainsi qu'au sein des classes privilégiées en tant que gibier, en tant que ressource alimentaire de premier choix non seulement pour les repas ici-bas mais aussi pour ceux de l'Au-delà, de manière à, comme le précisent les textes, nourrir le ka du défunt.
Plusieurs palettes scutiformes datant de la préhistoire ont d'ailleurs été mises au jour par les égyptologues sur lesquelles ont été gravées des scènes cynégétiques dans le désert où antilopes, oryx et autres gazelles deviennent la proie des chiens des chasseurs.
Ainsi cet exemplaire en trois morceaux : celui de droite, au-dessus fait partie des collections du Louvre (Vitrine 2 de la salle 20 à l'étage, dédiée à l'époque de Nagada) ; les deux autres étant actuellement exposés au British Museum (EA 20790) où a été judicieusement "reconstitué" l'ensemble du monument.
Toutefois, en fonction du dualisme inhérent à la pensée égyptienne sur lequel, souvent, j'attire votre attention, qui fait que les animaux peuvent être tout à la fois amis et ennemis, - je pense à l'oie du Nil, je pense aux canards, aux ânes, à l'hippopotame, au porc, je pense aussi à la tortue qui nous semble pourtant si inoffensive -, le sacrifice animal avait deux raisons d'être : pour certains, il s'agissait de pourvoir aux besoins alimentaires des classes privilégiées, je viens de l'indiquer ; pour d'autres, parce qu'ils étaient susceptibes d'être le réceptacle des puissances du mal, des forces néfastes du cosmos censées vouloir toujours détruire l'ordre (Maât) et rétablir le chaos (Isefet), l'on se devait de les annihiler aux fins de permettre à tous de vivre en harmonie et au défunt de jouir pleinement d'une vie post mortem sans entrave aucune.
C'est de cette seconde raison que j'escompte vous entretenir, amis lecteurs, lors d'au moins deux rendez-vous que je vous fixe immédiatement après la semaine du congé qui, pour les établissements scolaires belges, commencera vendredi soir ; semaine, vous vous en doutez, entièrement dédiée aux festivités du carnaval ...
Mais avant de nous quitter momentanément, je vous propose de m'accompagner, ce samedi 18 février, pour une petite incursion en Belgique où nous attendront de bien étranges personnes ...
(Grand merci à SAS pour l'excellence des clichés ci-dessus réalisés à mon intention.)