Mercredi 8 février, le gouvernement a abandonné une grande idée portée par la France à travers le globe depuis plus d'un an : lancer une taxe sur les transactions financières qui permette à la fois de décourager la spéculation excessive et de contribuer, par des financements nouveaux, à répondre aux urgences mondiales que sont la pauvreté, la faim, la maladie ou le changement climatique.
La France, par la voix de Nicolas Sarkozy, avait pourtant promis à la tribune de l'ONU que les recettes de cette taxe ambitieuse iraient aux populations les plus démunies. A Addis-Abeba, un discours du chef de l'Etat l'avait assuré à l'Afrique. A Cannes, avec le G20 pour témoin, cette taxe avait été annoncée comme la réponse de la France aux attentes des opinions publiques indignées, demandant une "taxe Robin des Bois" pour faire face aux excès de la finance.
Sauf retournement salutaire avec l'adoption au Parlement d'amendements la modifiant en profondeur, la taxe proposée par le gouvernement fait voler ces promesses en éclat : truffée d'exceptions, sans vrai impact sur la spéculation, elle rapporterait en France douze fois moins que prévu. Selon le Président lui-même, les maigres sommes recueillies iront non au développement ou au climat mais à la "réduction des déficits". Traduction : Après s'être présenté comme le champion de la lutte contre les excès de la finance et de la solidarité avec les pays du Sud, notre pays s'apprête à démissionner ouvertement de ces causes.
Face à cette volte-face, votre silence nous inquiète. Dans les prochains jours, vous allez préciser votre programme. Nous avons scruté le projet du Parti socialiste vos déclarations et vos 60 engagements. Vous proposez bien une taxe européenne sur les transactions financières pour "réduire la toute-puissance de l'industrie financière", mais le reste est flou. Et sur les défis colossaux auxquels la coopération internationale doit répondre, avec des moyens trop faibles, vous ne dites rien.
Or, il y a urgence. A Copenhague, Durban, Nice, Dakar, la mobilisation citoyenne, au Sud comme au Nord, n'a cessé de le rappeler : dérèglements du climat, accroissement exponentiel des inégalités, faim, précarité, chômage, retard sur les objectifs du millénaire pour le développement, ravages des conflits pour les populations, imposent à l'échelle planétaire mais, aussi, en France, un positionnement clair en faveur d'une véritable solidarité internationale.
Le coût de l'inaction se chiffre en vies humaines: plus de 8 millions d'enfants décèdent chaque année de maladies bénignes. Les sommes mobilisées restent dérisoires par rapport aux budgets des Etats (et leurs déficits) : l'argent manque pour éradiquer la pandémie VIH, alors que les sommes requises, selon l'Onu, représentent 0,1% des aides au système financier depuis 2008. Le monde dépense 1 630 milliards de dollars par an dans le domaine militaire : plus de 12 fois le budget global de l'aide publique au développement.
"L'âme de la France, c'est l'égalité", dites-vous. Cette égalité ne sera effective que si la solidarité internationale retrouve une place plus importante dans votre programme. La taxe sur les transactions financières et l'allocation de son produit sont un test de cette résolution : vous devez la saisir et vous prononcer fermement en faveur d'une telle taxe pour le développement et le climat. L'occasion pour vous aussi d'affirmer que vous tiendrez l'engagement de la France de consacrer, d'ici 2015, 0,7% de sa richesse nationale à une aide publique au développement au service des populations.
Contrairement à une idée reçue, même en période de crise, les Français ne refusent pas la solidarité internationale. Bien au contraire. Les dons aux associations investies dans ce domaine sont stables depuis 2008. Malgré les difficultés budgétaires, 63% des Français trouvent normal que la France aide les pays en développement. 82% d'entre eux considèrent que le produit d'une taxe sur les transactions financières devrait être affecté à la solidarité internationale, une idée soutenue en Europe par les 500 000 signataires de l'appel pour une "taxe Robin des Bois". Le temps est venu d'investir ces fronts qui affectent la vie de millions de personnes et concernent tous les citoyens du monde. Santé, éducation, environnement, alimentation, stabilité économique : des biens publics mondiaux qui profitent indirectement à toutes et à tous.
La taxe sur les transactions financières constitue une opportunité unique, historique, de ramener la finance à plus de modestie et de financer enfin, et de manière pérenne, ces objectifs mondiaux.
Appliquer la taxe ne serait-ce qu'une minute à l'échelle mondiale pourrait lever assez d'argent pour vacciner 1,5 million d'enfants contre la méningite. La France seule ne peut arriver à ce résultat mais, en créant un financement nouveau pour le développement, elle peut s'engager fortement dans cette voie.
Nos organisations considèrent que votre programme doit inclure un engagement formel de votre part pour créer ce précédent. Nous ferons la même demande à tous les candidats. Porter des valeurs, aussi généreuses soient-elles, ne peut se réduire à leur proclamation.
Signataires
Susan George (ATTAC), Luc Lampriere (Oxfam), Bruno Spire (AIDES) et Lise Pinault (Coalition Plus) pour la campagne Taxe Robin des Bois ; Luc Barruet (Solidarité Sida), Francois Danel (Action contre la faim),Guillaume Grosso (ONE), Jean-François Julliard (Greenpeace), Marc Laroche (Secours catholique), Daniel Lebegue (Transparency International), Sandrine Mathy (Réseau Action Climat), Serge Orru (WWF), Bernard Pinaud (CCFD-Terre solidaire), Arielle de Rothschild (Care), Pierre Salignon (Médecins du monde), Jean-Louis Vielajus (Coordination Sud).