Frédéric PETITJEAN – Les Dolce/La route des magiciens (T1) : 6/10
« La Route des Magiciens » inaugure une trilogie assez palpitante, destinée à un public adolescent mais qui peut tout aussi facilement être lue avec un plaisir par les adultes aimant ce type de romans.
Malheureusement cette série souffre d’une réalisation trop … inégale.
L’intrigue en elle-même est bien élaborée, l’histoire est adroitement amenée, l’enchaînement des scènes est parfaitement travaillé, donc de ce côté technique là le roman est bien supérieure à la moyenne.
Toutefois, il pèche par d’autres côtés, avec quelques incohérences sur lesquelles on ne peut que buter pendant la lecture, mais surtout une écriture trop … je ne trouve toujours pas le terme adéquat, mais je m’en expliquerai un peu plus tard.
Je vais tenter de m’exprimer clairement et appuyant mes pensées par des exemples, car j’ai vu plusieurs blogs enthousiastes … mais bon, moi, je le suis clairement un peu moins.
Mais parlons d’abord de l’histoire des Dolce, qui est donc bien pensée :
Les Dolce, c’est une famille de Magiciens, le dernier et ultime clan encore en vie. Ils ne sont plus que cinq : le grand-père Melkaridion, dont la vie englobe plusieurs siècles, c’est le plus puissant du clan mais son esprit commence à se troubler, sa fille Melidiane et son époux Rodolpherus et leurs deux enfants, Antonius et Leamedia.
Les magiciens ont des pouvoirs importants qu’ils exercent essentiellement sur des produits naturels ainsi que sur leur propre corps. Cette capacité de contrôler chaque cellule de leur corps entraîne des bénéfices importants, d’abord un vieillissement très ralenti, surtout une fois l’âge de la majorité « magique » (seize ans) atteinte, ensuite une utilisation de cent pour cent de leur cerveau, ce qui leur confère une mémoire absolue et une compréhension immédiate de toute nouveauté, et bien d’autres capacités encore. Chacun d’entre eux a par ailleurs des talents plus personnels, et ils sont capable de communiquer par télépathie.
Bref, ce sont des êtres supérieurs, mais leur vie est régie par des règles strictes et un code qui leur impose le respect absolu de la vie, humaine ou autre. Car s’ils volent un objet, ils seront paralysés, s’ils tuent, même en défendant leur propre vie, ils perdront leurs pouvoirs ainsi que leur mémoire et risquent de se transformeront en sorciers maléfiques (j’abrège, là !). Etc. etc.
Aujourd’hui, les Dolce se cachent.
Ils vivent dans un anonymat complet, ce qui impose à tous une retenue parfois difficile à gérer. Impossible d’utiliser leurs capacités, impossible de briller, impossible de se faire des amis. Car s’ils se font remarquer, la Guilde Noire trouvera leur trace, et le but de la Guilde Noire est de les exterminer, jusqu’au dernier.
Cette situation est particulièrement difficile pour les plus jeunes du clan, et notamment Leamedia. Cette fille, qui a seize ans mais n’en paraît que onze - ce qui, on l’imagine aisément, est déjà difficile pour une adolescente - doit respecter des lois qu’elle ne veut pas accepter et dont elle ne comprend pas la raison d’être.
Leamedia approche donc de son seizième anniversaire, ce sera le jour de sa majorité de magicienne mais surtout le jour de son « décoiffage », le jour où elle deviendra réellement magicienne, jour essentiel dans la vie de tout le clan.
Or, Leamedia est une adolescente perturbée et rebelle, elle ne supporte plus les règles strictes imposées par les parents.
Leamedia ainsi que son frère Antonius, âgé de vingt-cinq ans malgré ses apparents dix-sept ans, jugent leurs parents paranoïaques face à la Guilde Noire qu’ils n’ont jamais croisée.
Alors qu’Antonius s’impose plus de retenue, Leamedia, par son caractère emporté et révolté, mettra toute la famille en danger.
Car si les enfants doutent de la réalité de cette menace, celle-ci est bien présente et la Guilde Noire s’approche dangereusement de la famille Dolce. Bien plus encore, la Guilde Noire commence à s’imposer dans le monde « réel », le nôtre, en prenant la forme de la « Fondation 18 » qui achète, lentement, tous les sous-sols des plus importantes villes et au-delà. Dans quel but ?
Une jeune journaliste, Virginie Legendre, dont le père, Philippe, a connu Rodolpherus dans sa jeunesse, croisera la route de cette famille si étrange, et alors que Philippe Legendre tente de protéger la famille Dolce à laquelle appartient son ami de son mieux, la jeune Virginie, sans le savoir, la mettra en danger en dévoilant un fait divers étonnant …
Il s’agit donc d’un monde de magiciens qui se fond dans le nôtre. Dès le début, ce roman fait un peu penser à un « Harry Potter » adulte et la présence du bus rouge ne fera rien pour diminuer cette impression.
« Notre » monde est donc peuplé, du moins dans une petite mesure, de magiciens et sorciers qui se battent, et l’issue de cette bataille pourra signifier la fin du monde tel que nous le connaissons.
Une intrigue sympathique, une famille au cœur d’une bataille fondamentale qui les contraindra à se serrer les coudes, à se faire confiance – ce qui est difficile avec une adolescente rebelle …
Avant de relever les points que j’ai moins appréciés, je me dois de souligner l’adresse de l’enchaînement dans l’action. On s’y prend, le suspense se construit lentement, on tourne les pages, les changements de perspectives sont finement pensés, la structure est donc stable. Une idée et une structure réussies !
Or, malheureusement, la rédaction, bien que techniquement assez irréprochable, ma plus qu’ennuyée, et ce pour plusieurs raison que voici :
En tant que lecteur, j’avais l’impression que l’auteur n’avait strictement aucune confiance en moi, ni en ma « culture », ni en mon intelligence, ni même en mon imagination – et ce dernier point me paraissait presque insultant.
Pourquoi est-ce que je dis cela ?
Le premier point jaillit presque immédiatement : le manque de confiance dans la « culture » du lecteur, puisque dès que l’auteur fait référence à n’importe quoi, tel un groupe de Rock, il se croit obligé de nous détailler l’aspect qu’il voulait souligner. Ainsi, Antonius fait partie d’un groupe de musique et les membres réfléchissent à des tenues de scène. L’un des membres propose alors des costumes rappelant le groupe Kiss.
Bon, mais il fallait s’arrêter là – aucun besoin de décrire ces costumes et ces masques ! D’abord, je pense que tout le monde connaît et l’absolue minorité qui pourrait ne pas connaître ce groupe mythique, peut-être les plus jeunes, et bien, ils IMAGINERONT, ils ne seront pas gênés, d’autant plus que la description était franchement ratée et donnait certainement une image bien fausse du groupe légendaire.
Nous voilà, au deuxième point - manque de confiance de l’auteur en notre intelligence. Nous lisons le livre, nous comprenons les mots, nous saisissons donc le contenu. Et pourtant, systématiquement Frédéric Petitjean nous réexplique les mêmes choses – fort inutilement. Par exemple, les magiciens ont une acuité visuelle extrême, ils peuvent même la modifier selon leurs besoins puisqu’ils sont en mesure de contrôler chaque cellule de leur corps isolément.
Là. Vous l’avez compris. Inutile que je me répète. Et pourtant, Frédéric Petitjean réexplique à chaque fois que là, Antonius envoie de l’oxygène dans le muscle pour améliorer la performance, qu’ici, il focalise sur sa pupille pour mieux voir etc. etc. GRRRRRRR. Enervant, énervant, énervant. J’avais l’impression d’être devant « Dora l’exploratrice » et son agaçant sac à dos qui répète mille fois le chemin à suivre.
C’est ici que je classerais aussi le choix des anagrammes … les magiciens choisissent, quand ils déménagent, des anagrammes absolument ridicules de leurs noms pour se fondre dans l’anonymat. Le choix de ces anagrammes est bien loin des noms qu’imagineraient des êtres d’une intelligence supérieure, c’est certain ! Il en va de même de la « Fondation 18 » - à l’instant même où la question est soulevée on sait d’où vient cette raison sociale, c’était ridicule d’en faire un mini-mystère.
Enfin, nous arrivons à la mise en doute de notre imagination – et là c’est un comble. L’auteur a pris beaucoup de soin à dresser le schéma des pouvoirs de ses héros, à imaginer leurs capacités et tout ce qui va avec. L’auteur, il est certain, en a, de l’imagination, mais il ne semble pas croire que nous en avons tout autant ! Il prend un soin bien inutile de nous assommer avec des détails. Oui, il nous détaille et détaille et détaille les pouvoirs, listant leurs possibilités parfois comme un lexique le ferait, ou encore une fiche de jeu de rôle, résumant fort inutilement ces forces étonnantes. Dont beaucoup qui n’ont pas, sur le moment, d’importance.
Ce défaut des descriptions trop pointilleuses se retrouve dans tous les aspects. Je ne parle pas ici de descriptions au sens de « description d’un lieu » ou « d’une ambiance ». C’est plus insidieux que cela, c’est un attachement à des détails qu’on préférerait clairement imaginer nous-mêmes. C’est comme si je décrivais une balade dans une forêt dans la nuit, et que je décrivais absolument tout, chaque bruit, chaque feuille, chaque lumière, chaque poussière, chaque odeur. A un moment vous me diriez – eh, ça va, on voit.
C’est ici que l’on note une grande différence entre l’auteur qui a l’habitude de ce genre d’écriture : il fait confiance au lecteur, il ne se croit pas contraint de détailler tout, nous pouvons imaginer – et voulons imaginer – une grande partie, c’est le propre du livre. Et si vraiment cela devait s’avérer nécessaire, et bien, il pourra toujours le dire le moment venu. Je me sentais presque insultée, par moments ; bien pire, par moments cela empêchait d’imaginer.
Je me suis donc interrogée d’où venait ce véritable défaut que je n’avais encore jamais rencontré sous cette forme toute particulière. Et je crois avoir trouvé, mais je peux me tromper. J’ai rapidement survolé l’expérience de l’auteur et voilà, il est scénariste et écrit surtout pour le cinéma ! Ce qui expliquerait cela, je pense. Dans un film, on doit tout prévoir dans le scénario, les détails à filmer, à inclure, l’imaginaire passant au tout dernier plan, tout au contraire doit être proposé et même imposé au spectateur. On doit filmer la pluie qui tombe, l’oiseau qui s’envole, le reflet de la lumière sur la chaussée. Or, dans un livre, une grande partie doit être imaginée. Oui, il faut des descriptions, mais des descriptions … ciblées. C’est très subtil mais essentiel.
Je tiens toutefois à insister, encore une fois, sur le fait que le style même de ce livre est bon, qu’il n’y a strictement aucun problème avec la plume de l’auteur. Il a une belle façon d’écrire, les expressions ont de la personnalité (et il adore les personnes « à peine voûtées »), c’est imaginatif. C’est juste un peu trop … High Definition.
Espérons que Frédéric Petitjean corrigera ce défaut, car, comme je le disais, l’intrigue est bien construite et on a bien envie de suivre la famille Dolce encore un peu. Juste, ne nous prenez pas pour des enfants de cinq ans (ou moins).
Pour finir, je dois souligner que j’ai également buté sur de multiples incohérences. Ce n’est pas bien grave en soi, mais comme l’auteur adore énoncer bien trop de petits points il vaudrait mieux rester plus cohérent.
Déjà, globalement j’ai eu un vrai souci avec l’attitude d’Antonius, qui n’était pas « logique » : il a vingt-cinq ans d’âge « magique », c’est donc un jeune homme de vingt-cinq ans même s’il n’en paraît que dix-sept, sachant que l’auteur souligne (je paraphrase, là) que les six années d’écart d’avec sa sœur représentent bien plus que chez les humains (d’ailleurs, pourquoi six ??? Les six ans de différence sont les années « apparentes », elle paraît onze, lui dix-sept, mais en réalité l’écart est de neuf ans puisque Leamédia va avoir seize ans d’âge magique), ce qui laisse supposer qu’un jeune homme de vingt-cinq ans devrait être plus mature qu’un « humain » du même âge. De plus, ne l’oublions pas, les magiciens ont des capacités intellectuelles bien plus développées.
Donc, un magicien de vingt-cinq ans devrait avoir un certain discernement. Or, Antonius ne l’a pas. Il se laisse aller à des comportements qui, franchement, correspondraient plus à ceux d’un adolescent de dix-sept ans, donc de son apparence. Or, il a ces comportements au sein de la famille et non pas en public !
Mais bien plus ennuyeux est le décalage entre les explications et l’âge et le vieillissement du père, Rodolpherus : lorsque Rodolpherus était jeune, il avait un ami humain, Philippe Legendre. Philippe Legendre a fait sa connaissance peu avant la fin de la 2nde guerre mondiale alors qu’il avait dix ans, ils étaient copains, l’âge apparent de Rodolpherus était donc à peu près du même âge, dix/douze ans ; Virginie Legendre trouvera d’ailleurs une photo des deux amis. En toute logique, le magicien aurait alors dû avoir seize ou dix-sept ans magiques (comme Leamedia).
Or, il a aujourd’hui cent-cinquante ans …. Il ne pouvait donc avoir l’apparence d’un jeune adolescent dans les années ’40 (n’oublions pas que le vieillissement ralentit sérieusement dès les seize ans d’un magicien) !!
D’autres points encore sont assez gênants (p.ex. les dates). Mais je pense que je m’y serais moins attachée si l’auteur n’avait pas tellement insisté sur les petits points, un piège qu’il s’est construit bien malgré lui. Quand on ne laisse pas l’imagination vagabonder, elle trouve nécessairement un autre chemin !
Bref, en résumé je dirais que l’intrigue est excellente, que le squelette de l’histoire est parfaitement réussie, le suspense bien dense - mais que l’habillage est tout simplement raté et gâche très clairement une belle trilogie.
J’espère néanmoins que le deuxième volume sera meilleur, car comme tout auteur, Frédéric Petitjean peut s’améliorer et se débarrasser de ses. Et les incohérences, et bien, on les lui pardonnera avec plaisir.
Car l’histoire reste palpitante, sans aucun doute.
Le tome deux sortira en octobre 2012 et s’intitulera « Les Cinq Secrets »’
Le tome trois sortira en octobre 2013 et s’intitulera « Le Dernier Puits ».
Ayant lu le premier tome, je dois dire que j’ai bien envie de percer les secrets !! Allez, Monsieur Petitjean, détendez-vous dans l’écriture, laisser tomber les nuances et cette série pourra encore briller !
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