Magazine Afrique
Y a les eux et y a les nous.
Les eux sont (c)eux qui ne sont pas de là. Pas de chez nous.
Et là, là (Catherine Ringer rapplique...) sous entend le territoire immédiat à quelques kilomètres commence le royaume des eux, ici là, c'est nous. Ceci est un fondement de l'organisation sociale au Ghana.
Ainsi, dans cette vision, l'étranger peut aussi être le voisin distant et proche géographiquement, à la fois. Il est aussi celui qui arrive de l'autre bout de la terre, pas tout à fait de la même façon. L'étrange étranger vêtu d'étrangeté est bien évidemment suspect. Rien de bien neuf sous le soleil, qu'il brille au Ghana, aux U.S.A ou encore en Auvergne où quand il n'y en à qu'un ça va, c'est quand ils sont nombreux que cela devient un problème, dixit un ex-ministre de l'immigration porteur de feu en son nom, et pas que...
L'étrangeté de l'étranger serait elle universelle ?...
Appliquée et déclinée ici au Ghana, elle est permanente.Au tout début de notre installation au Ghana, il y à déjà quelques années de cela, nous avons eu maille à partir avec un rasta business. Le rasta business est celui qui attend, selon le blanc ou la blanche, qui est bien sur musicien, fabriquant d'artisanat, d'art. Un artiste quoi. Il peut aussi se transformer en guide touristique. Le rasta business est polyvalent extrêmement plastique, dans le sens de caméléon. Il est toujours prêt et disponible pour les obruni qui sont sa matière première et ressource.
Donc, notre rasta business s'amusa à nous palabrer (faire des histoires, ici pour impressionner on parle fort et longtemps...haha ! La bonne blague !), je vais faire court.
Cela dura une bonne semaine avec intervention de la police (à 6h du mat, voir arriver des policiers en civil armé, c'est « chose »), tant cela impressionne, c'était le but et tout le toutim. Après l'intervention musclée des forces de l'ordre (dont on s'aperçut par la suite, qu'ils furent payés pour organiser cette petite saynète), l'histoire finit de se régler à la régulière et traditionnelle, dans le palais du chef.
L'audience eu lieu en présence des helders ou anciens, qui peuvent avoir 25 ans et qui sont des représentants des familles royales régnantes appelés aussi sages dans certains pays, le chef de Busua et même de l'Ahantaland, appelé aussi l'ahantahéné c 'est à dire le chef de la région Ahanta (qui grosso modo va de Beposo, avant Takoradi jusqu'à quasiment Axim). Le chef de Busua est un paramount chief, il en existe 5 au Ghana.
Le p'tit nom de ce « big » chief est Nana Baidoo Bondsoe. Détaillons un peu ce nom. Nana est le titre honorifique pour les chefs, Nana est ici unisexe. Ce titre est valable pour les hommes comme pour les femmes. Baidoo indique qu'il est né le dixième dans la famille et Bondsoe signifie la baleine.
Voilà un sobriquet bien original, en fait il ne s'agit pas de sobriquet mais bien d'un titre statutaire honorifique. Alors pourquoi la baleine, vous imaginez bien que cela n'est pas lié au physique spacieux et avantageux du bonhomme. Ni du fait qu'il soit hypothétiquement champion de natation. La baleine est son totem. Un des signes de la chefferie est le tabouret royal appelé ici stool.
Un exemple ci dessous
Ou encore, le nouveau palais présidentiel lui aussi en forme de tabouret
Baidoo la baleine (sympa comme petit nom ? Non ?) car le stool aurait été craché par une baleine. En fait, en bonne pragmatique terrienne comme maritime, j'avancerai l'hypothèse que le stool ressemble à une vertèbre de baleine et peut être bien que les premiers stools étaient en vertèbre de cétacés.
La légitimité de la présence du chef de l'Ahantahéné, à cette audience n'était pas statutaire, en tant qu'Ahantahéné, mais en tant que père dont le fils avait trempé dans l'histoire. Diplomatiquement et sans évoquer les rapports de force et de pouvoir qui se tricotent frénétiquement (et énergiquement), il était impossible que les helders mettent Nana sur la touche. Les autres personnes assistant à cette assemblée, les différents acteurs, des habitants du village, des rasta business et enfants du chefs, myself, my husband.
A moins que l'étrangeté soit relative ?...
Discussions, palabres et vociférations, toute l'après midi dans le palais du chef où se tiennent ce genre de réunion, les fenêtre ouvertes avec tout un tas de villageois agrippés aux battants des fenêtres. C'est qu'on n'a pas si souvent l'occasion de voir des étrangers dans cet endroit, un spectacle de choix. Chaleur, mouches et moiteur. Le tout s'est bien sur déroulé en Ahanta, je n'ai rien compris, mis à part de temps à autre Obruni ou Abrofo, tiens ? On parle de moi ?
Chaque groupe eu l'opportunité de s'exprimer tout à tour.
Jugement fut rendu : « toi, le rasta ( originaire de Cape Coast, ville de la central région à environ 150 km), tu es étranger car tu ne parles pas notre langue (l'ahanta, il parlait fanti), tout comme les obrunis qui eux aussi sont étrangers mais celui qui trouble la communauté, c'est toi ».
Le rasta fut donc condamné à une amende, une bouteille de schnaps (pour honorer les ancêtres) et interdiction totale d'aller chez les obrunis et même de regarder chez eux (!!).
« Si on te voit regarder chez eux, nous te virerons du village. » toc ! Ça c'est envoyé !
La notion d'étranger est donc relative. L'appartenance territoriale est forte, liée de traditions, langues, coutumes. Ici, la notion d'étrangeté et d'étranger, comme dans l'exemple précédent, n'est donc pas inhérente à une nationalité différente. Ce qui peut aussi s'expliquer par l'histoire et le découpage à règle (regardez de près une carte du continent africain).. Cette longue et impeccable ligne droite qui délimité le sud algérien, entre la Mauritanie et le Mali.
opéré par les colonisateurs (dont l'un des plus célèbres et fondateur est le traité de Tordesillas) se partageant ainsi le gâteau Afrique a dynamité la constitution existante des groupes sociaux et linguistiques.
Ainsi certains sont à présent sur 2, tels que les Nzema du sud ouest Ghana présent dans le sud est ivoirien. Une carte très claire sur Muturzikin après la création des frontières toutes artificielles basée sur des volontés envahisseuses et économiquement gourmandes.
Prenons quelques minutes pour nous arrêter sur ce fameux « obruni » entendu tout le long de la côte du Ghana, appelés aussi Nasara au nord et Yové à l'est. Ici, en ahanta, c'est « abofro » comme dans l'exemple que j'avais évoqué au travers des badamiers d'Ezile, appelés en Ahanta « Abrofo Nkate », la graine de l'étranger.
La plupart des gens entendent blancs par ce terme. Pour moi, peut être me trompe-je, il me paraît que cette appellation et là encore liée à une appartenance territoriale, qui serait au delà de l'horizon. L'indien, le pakistanais, tout comme le chinois et le japonais, sans parler des « Afro-descendants » comme les appellent les états uniens (en fait, cela veut dire black, aux U.S aussi on a sa langue de bois), sont tous obrunis et pourtant la variation en teneur de mélanine dans la peau est bien différente de l'un à l'autre.
Je discutais dernièrement avec un ami ghanéen qui m'affirmait qu'Obruni signifiait blanc. Je lui ai alors demandé : « Un black américain, tu l'appelles comment ? » Dans son souffle fleuri l'évidence de la réponse « Obruni bien sur ! » CQFD.
La hiérarchisation des eux et des nous
Au sein des communautés villageoises s' entremêlent tout un arsenal et toile (?) de hiérarchisation, discrimination (qui n'est pas forcément un mot négatif car discriminer c'est choisir). Et qu'on ne me rabatte pas les oreilles avec la discrimination positive, qui connue ses heures de gloire dans la France de fin des années 90 et qui demeure, bien plus souvent qu'il ne le faudrait, une base de construction de programmes socio-économiques, car avant que d'être positive, elle est d'abord discrimination (avec tout ce qui se trame dans les coulisses et arrières cuisines, (dans quels objectifs au fait ?).
Dans le sud Ghana, les critères en présence se fondent sur l'âge, l'appartenance sexuelle (être femme, c'est d'emblée un lot de départ négatif et on voudrait nous faire croire que c'est inné...sont gonflés quand même !) et aussi l'appartenance à un clan, une famille, dis moi quelle église tu fréquentes, je te dirais qui tu es.
De la même manière qu'on est tous l'étranger de l'autre, tout à chacun à son « petit », son fidèle pour le dire de manière religieuse ou son homme (ce sont quelques fois des enfants, souvent des femmes) à tout faire...
Création d'une filière des eux, les nous ne sont pas contents
Idriss notre ami (je reviendrai à Idriss prochainement, aristocrate du sable, celui du désert comme celui du bord de mer) est arrivé à Busua, il a quelques mois de cela, quasiment un an (durée de départ annoncée du séjour : 15 jours).
Quand il s'est installé, il a commencé à travailler seul. Idriss vend des bijoux touaregs, des peintures, de l'artisanat, des pièces anciennes et des sculptures plus ou moins authentiques. Il stockait ses affaires chez nous et tous les jours, il sortait sa marchandise pour la vendre sur la plage. Rapidement, il s'est adjoint une aide. Un jeune venu d'Accra qui est Ga (de la région d'Accra) et non Ahanta, c'est à dire étranger comme lui. Ils ont travaillé quelques temps ensemble. Raouf se chargeait alors de la mise en place de l'étal.
Raouf a rapidement pris du galon puisque lui aussi s'est dernièrement adjoint un « petit ». Un jeune garçon qui lui aussi n'est pas Ahanta et qui vient de s'installer dans le village avec sa famille. S'est ainsi « naturellement » crée une filière « étrangère », des eux à Busua (en plus sont quasi tous francophones..). Régulièrement alimentée par les visites des amis de passage, en provenance du Niger, du Mali, des « pas d'ici, des ailleurs-loin ». Je les appelle la touareg connexion, même si nombre d'entre eux ne sont pas touaregs, mais Ga (donc du Ghana) comme nous l'avons vu ou sahéliens ou d'ailleurs.
A ce propos, si vous passez par là, ils seront toujours un plaisir de vous offrir le thé (très fort) touareg à toute heure du jour et parfois de la nuit. Je me permets toutefois de mettre en garde les estomacs et système nerveux fragiles : ça dépote brulant et puissant.
La création de ce groupe des eux, n'a pas manqué de froisser certains des nous. S'en sont suivis invectives, et énervements et surtout pertes d'énergie et de temps. Bien évidemment, les raisons invoquées sont toutes autres... Dans le fond et cela n'est jamais dit clairement, c'est bien de cela dont il s'agit : vous n'êtes pas d'ici (doublé de : t'a pas intérêt à nous piquer nos blancs).
C'est que dès qu'on a la moindre parcelle de pouvoir ici, on l'exerce jusqu'à plus soif, on l'essore jusqu'à la dernière goutte.
Ce pouvoir peut dans certains cas, être synonyme d'entraide et solidarité, comme dans le cas que je viens d'évoquer précédemment. Il peut aussi revêtir le pagne de la domination voir de l'extorsion de fonds ou dans une variante plus usuelle et quotidienne la corruption et les backchichs corollaires qui jalonnent tous les domaines de la vie .
Et là pour le coup, que ce soit les eux ou les nous, c'est même chose.
Enfin... pour les bébénis (ceux d'ici, les eux comme les nous) car pour les obrunis (les eux de loin), les tarifs et exigences ont tendance à connaître une sérieuse et couteuse inflation.
En Afrique, les micro-saigneurs règnent et empoisonnent le quotidien.Les macro aussi, mais là, je ne connais pas. Je ne suis pas dans ces sphères là, serais pourtant curieuse de savoir ce qui se trame dans le domaine aurifère ou pétrolier...
Les eux comme les nous bébénis finissent pas créer un groupe plus ou moins commun quand il s'agit de reconnaître l'étrangeté (et la puissance économique) des obrunis et là, cela devient intercontinental ...