OBAMA ? Un vrai américain, tout simplement !
Avant de se persuader que Barack Obama pourrait être un bon président des États-Unis pour le monde, il serait bon de se demander deux choses :
— pourrait-il être un bon président pour les États-Unis eux-mêmes ?
— aurait-il les moyens de faire quelque chose pour le monde, et quoi ?
Ce qui me fait poser ces deux questions vient de ce qu’une sorte d’Obamania semble s’être emparée de l’opinion publique dans le monde occidental, comme si ce nouveau personnage du cirque américain pouvait être fort différent de ces concitoyens, et comme si l’avenir de la planète dépendait du Président des États-Unis. Je pense qu’il devient urgent que les gens répondent à ces deux questions, avant d’arrêter leur opinion.
Concernant Obama, il est essentiel d’aller au-delà de ses propos enflammés, qui emporte l’enthousiasme des foules étasuniennes à chacune de ses sorties en public, car il n’y a vraiment aucune proposition réaliste ou réalisable dans ses discours. Juste de la fumée qui sent bon. À la veille d’une sévère déconfiture économique de son pays, on n’entend de sa part aucune proposition précise pour éviter sa ruine, pas le moindre avis sur la nature de cette crise, pas la moindre idée de ce qu’il en pense, ni même s’il en pense quelque chose. The economist observe qu’il ne fait que « répéter aux gens qu’ils méritent de gagner plus et d’entrevoir de meilleures perspectives ». Où se trouvent les moyens qu’il emploierait pour modifier cette situation périlleuse ?
Il n’a que le mot changement à la bouche, mais omet soigneusement de donner des réponses personnelles au « quoi, comment, avec quel argent » auquel tout responsable économique se doit de répondre, que ce soit dans une entreprise artisanale ou à la tête d’un état. On peut en déduire, ou qu’il n’a pas de solutions, ou bien qu’il préfère les cacher. Dans les deux cas, je pense qu’il vaut mieux aller voir ailleurs.
Mais il y a mieux. L’opinion prend pour acquis qu’Obama, étant élu, se comporterait différemment que son insoutenable prédécesseur. Or, l’un des principaux conseillers qu’il a choisis pour l’assister dans sa campagne est Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité du président Carter entre 1977 et 1981, et qui fonde en1973 la commission Trilatérale, cette institution privée qui, aussi peu démocratique que possible, possède une influence importante et secrète sur tous les gouvernements de la planète.
Il a publié plusieurs ouvrages, dont Le grand échiquier en 1993, l’échiquier dont il parle étant la planète, et Le vrai choix, révision du premier en 1994, pour tenir compte de l’affaire du 11 septembre 2001.
On pourrait considérer que la préoccupation de Brzezinski dans ces ouvrages est essentiellement géostratégique, mais il est animé d’une foi tellement inébranlable dans la toute puissance des Etats-Unis, que cela enlève beaucoup d’objectivité à ses analyses, pourtant généralement bien documentées, et en fait un idéologue plutôt qu’un expert. Sans aucunement démontrer la justesse de son opinion, il s’est persuadé que la stabilité et la paix dans le monde dépendent étroitement d’une hégémonie des É-U sur la planète, appuyée sur l’Europe comme puissance d’appoint.
Pour cibler le personnage, voici un extrait du grand échiquier, donc en 1997, il y a 10 ans : En Europe certains signes témoignent de la fin de l’élan en faveur de l’intégration et de l’expansion ; les nationalismes européens traditionnels pourraient d’ici peu se réveiller. Un fort taux de chômage persiste même dans les États européens les plus avancés, suscitant des réactions xénophobes qui pourraient très vite entraîner la France ou l’Allemagne vers l’extrémisme et le chauvinisme. Il se pourrait même qu’une véritable situation révolutionnaire soit en train de prendre forme. Le calendrier européen ne sera suivi que si les aspirations de cette région à l’unité sont encouragées avec force par les Etats-Unis [p. 251 ].
Dix ans après, le lancement de l’euro le 1er janvier 2002 et le traité de Lisbonne en 2007 ont dû le désappointer à cet égard, l’Europe ayant pu aisément se passer des conseils de Big brother. N’est-ce pas suffisant pour conclure à un véritable strabisme géopolitique chez Brzezinski : mépris condescendant pour l’Europe, qui a des problèmes mais qui avance quoiqu’il en pense, et admiration sans limite pour des États-Unis tout puissants, qui dirigent la planète du haut de leur socle biblique et n’ont pas de problèmes ?
Et c’est à ce personnage à la vue courte qu’Obama fait confiance pour le guider dans les Dardanelles de la politique mondiale ? Aux dernières nouvelles, il paraîtrait qu’il aurait décidé de s’en séparer, mais davantage sans doute pour ne pas être compromis par son idéologie impériale, que pour des différences de conviction.
Obama connaît-il les relations de son conseiller ? Certainement, car Brzezinski est présent depuis des années dans la vie politique de son pays. Un sénateur ne peut ignorer sa personnalité, ses convictions et son entourage.
Il devrait donc aussi connaître ses bonnes relations avec Huntington, auteur impayable du Choc des Civilisations [1996], ouvrage célébré pendant quelque temps en raison du choc provoqué par ses surprenantes hypothèses, puis délaissé car excessivement réducteur dans son analyse des structures de l’humanité, bien plus complexes que la seule prise en compte des civilisations. Obama partage-t-il l’analyse indécente d’Huntington sur les guerres entre les civilisations ?
Obama doit donc savoir que Brzezinski et Huntington ont écrit un livre ensemble [Political Power : USA/USSR, New York, Viking Press, 1963], et que leurs conceptions sont donc très proches.
Tous deux appartiennent à la même mouvance que l’auteur de La fin de l’histoire et le dernier Homme [1993], Fukuyama, lequel a lui aussi défrayé les chroniques du monde entier, avant de faire éclater de rire tous ceux qu’il avait émerveillé de surprise pendant un court moment d’inattention. La fin de l’Histoire ! Pensez donc !
Après la chute de ce qu’on appelait l’Empire soviétique, la fin de l’Histoire, pour lui, c’était les États-Unis et la démocratie, modèles désormais indépassables sur lesquels tous les peuples allaient devoir s’aligner tôt ou tard. Du plus pur conservatisme, descendu en ligne droite de la May Flower ! Comment Obama pourrait ne pas l’avoir lu ?
Trois dates : 1993, 1996 et 1997, une seule tranche de mythologie et d’aberration, Que pensent en ce moment ces trois évangélistes de l’américanisme, d’une Amérique en crise profonde ? Et Obama dans tout ça ?
Eh bien ! Un vrai américain, tout simplement !
par André Serra