Le 25 janvier dernier, le Président ivoirien, Alassane Ouattara, était en visite d’État en France. Au cours de cette visite démesurément somptueuse et médiatisée, un nouvel accord de défense, remplaçant celui de 1961, a été signé entre le Président ivoirien et son homologue français. Que savons-nous de cet accord ?
Par Mamadou Koulibaly, Président d’Audace Institut Afrique
Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique
Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy à Paris le 27 janvier.
La presse a relayé quelques déclarations autour de cette signature et c’est essentiellement la transparence de ce nouvel accord qui est mise en avant. Il ne comporterait en effet aucune clause secrète. Il semble prévoir que la France prenne la responsabilité de la formation de la nouvelle armée ivoirienne et que 300 militaires français restent en permanence dans leur base militaire à d’Abidjan. Base qui servirait également de point stratégique de lutte contre Al-Qaïda.
Malgré ces brèves déclarations, on ne peut que s’interroger sur la réelle transparence de ces accords dont le contenu est livré avec une telle modération. Pourquoi, s’il est si transparent cet accord n’a pas été publié en intégralité ? Comment Alassane Ouattara a pu signer un traité qui engage le peuple ivoirien sans même l’avoir informé de son contenu ? Idem pour le président français sachant que c’est en partie avec l’impôt des Français que la France intervient en Côte d’Ivoire.
Pour balayer ces objections, le Président ivoirien dit qu’il va soumettre le texte au Parlement ivoirien. Une chose saute pourtant aux yeux, les autorités ivoiriennes ne semblent pas pressées de démarrer les activités de la nouvelle Assemblée nationale et, quoi qu’il en soit, le traité est signé et il est donc trop tard pour en réorienter le contenu. C’est bel et bien un texte imposé aux Ivoiriens par leur président.
De ce que l’on sait, certains points sont déjà contestables. En effet, on peut se demander s’il est sain de confier la formation de l’armée ivoirienne à l’ancienne force coloniale, toujours très présente dans le pays dont elle est toujours le premier partenaire commercial. Il semblerait, d’après le peu d’informations publiques, que la France allait devenir le principal fournisseur en matériel militaire. Ces achats de matériel, en marge des règles du marché sont-ils propices au contribuable ivoirien qui devra payer la note finale? Il est choquant de voir ainsi des monopoles protégés agrandir la longue liste des privilèges distribués par le Président ivoirien à ses amis et connaissances.
Autre point, Alassane Ouattara plaidait dans le journal le Monde du 26 janvier 2012 : « Il est important que nous ayons une coopération plus forte en matière d’équipement et de formation mais aussi dans le renseignement et la lutte contre le terrorisme ». Abidjan est-elle vraiment un point stratégique pour la lutte contre le terrorisme ? Quand on sait que les réseaux d’Al-Qaïda sont essentiellement regroupés dans le Sahel, il parait évident que la Mali, le Niger, la Mauritanie ou le Burkina Faso sont des emplacements beaucoup plus adaptés.
Ce qui pousse également à s’interroger et à s’inquiéter, c’est que l’on sait, par expérience, que les accords de défense signés en 1961 étaient en réalité des accords commerciaux. Le non respect de cet accord en 2002 lorsque la Côte d’Ivoire a été victime d’agression prouve bien la façade que représentait la partie militaire de cet accord par rapport à sa partie commerciale. En effet, la France si elle avait respecté sa signature aurait dû aider l’armée ivoirienne à repousser les mutins alors qu’au contraire, elle les a protégé durant 9 ans. Les autorités françaises s’étaient pourtant engagées en 1961 à défendre militairement les régimes ivoiriens en place en échange de quoi, elles bénéficiaient d’un accès privilégié à leurs ressources naturelles.
Cet accès privilégié aux ressources naturelles par les autorités françaises est assez méconnu et c’est une chance pour la Côte d’Ivoire car si un anglais, un américain, un canadien, un australien ou autres connaissaient ces clauses, il est évident qu’ils ne viendraient jamais investir dans un pays où l’exploitation et la commercialisation des matières premières sont ainsi régentées par les autorités françaises. Pour prendre la mesure de la réalité, il est important de lire une partie de l’annexe 2 de cet accord :
ANNEXE II de l’accord de Défense entre la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey, la République Française et la République du Niger concernant la coopération dans le domaine des matières premières et produits stratégiques.
Afin de garantir leurs intérêts mutuels en matière de Défense, les parties contractantes décident de coopérer dans le domaine des matériaux de Défense dans les conditions définies ci-après:
Article premier : Les matières premières et produits classés stratégiques comprennent:
- Première catégorie: les hydrocarbures liquides ou gazeux ;
- Deuxième catégorie: l’uranium, le thorium, le lithium, le béryllium, leurs minerais et composés.Cette liste pourra être modifiée d’un commun accord, compte tenu des circonstances.
Article 2 : La République Française informe régulièrement la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger de la politique qu’elle est appelée à suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, compte tenu des besoins généraux de la Défense, de l’évolution des ressources et la situation du marché mondial.
Article 3 : La République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger informent la République Française de la politique qu’elles sont appelées à suivre en ce concerne les matières premières et produits stratégiques et des mesures qu’elles se proposent de prendre pour l’exécution de cette politique.
Article 4 : La République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger facilitent au profit des forces armées françaises le stockage des matières premières et produits stratégiques. Lorsque les intérêts de la Défense l’exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination d’autres pays.
Article 5 : La République Française est tenue informée des programmes et projets concernant l’exportation hors du territoire de la République de Côte d’Ivoire, de la République du Dahomey et de la République du Niger des matières premières et des produits stratégiques de deuxième catégorie énumérés à l’article premier. En ce qui concerne ces mêmes matières et produits, la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger, pour les besoins de la Défense, réservent par priorité leur vente à la République Française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle.
Article 6 : Les Gouvernements procèdent, sur les problèmes qui font l’objet de la présente annexe, à toutes consultations nécessaires.
Fait à Paris, le 24avril 1961
Félix HOUPHOUET-BOIGNY Hubert MAGA
Michel DEBRE Hamani DIORI
Dans ce contexte, on comprend que tout nouvel accord nécessite une analyse poussée aussi bien de la part des Ivoiriens que des investisseurs, autres que français, installés dans le pays ou souhaitant s’y installer. Ainsi, nous incitons la société civile ivoirienne et les investisseurs étrangers à faire pression sur les autorités pour prendre connaissance au plus vite du contenu de ce nouvel accord signé à Paris en ce début d’année 2012.
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