Tout au fond d'une cour encombrée, une porte bleue. Je monte au premier étage, une jeune femme m'ouvre : son manteau est couvert de taches de café. Des piles de magazines bloquent l'entrée. Elle me sourit, je me présente. Elle me sert un café dans un verre en plastique qui ramollit entre mes doigts. C'est ma cinquième tasse, il est 11 heures. Voilà qui ne va pas m'aider à maîtriser mes tremblements.
Je remarque une porte qui indique "Toilettes", je rêve de m'y précipiter : le stress a pour effet de réduire ma vessie à la portion congrue. Trop tard ! Elle me guide jusqu'au bureau des recruteurs. Deux hommes, la trentaine, se soulèvent de leur chaise pour me tendre la main. Le premier a le teint très blanc, les cheveux très noirs, une petite moustache. Ses sourcils broussailleux lui donnent un regard sévère. Le deuxième est plus petit, plus maigre, il est chauve et derrière ses lunettes, ses yeux sourient d'une manière réconfortante.
Ils m'invitent à m'asseoir, "en faisant attention", sur un fauteuil bancal. Je retire mon manteau, ma veste, mon écharpe. J'essaie d'oublier mon envie pressante. Je gigote un peu sur mon siège : aïe, en effet, il grince désagréablement. Je croise les jambes. J'attends. Ils allument une cigarette, les yeux rivés sur mon CV. En les regardant fumer, je me détends : l'ambiance a l'air plutôt cool. Sur les murs, deux affiches encadrées : Entourage et 24 heures chrono. Je suis la seule touche féminine de la pièce.
L'entretien dure un peu plus d'une demi-heure. Les questions s'enchaînent. Au début, je bafouille, mais vite, je pense à mon amie Jo, qui est toujours zen et souriante, et j'essaie de dégager les mêmes ondes positives. Cela marche à peu près, j'ai le sentiment de ne pas trop mal m'en sortir. Je justifie les blancs dans mon CV, je mets en avant mes expériences. Je me demande si ma voix nasale les agace. Je m'écoute et je m'auto-agace.
Ouf, ils n'ont pas l'air contrarié. Ils me proposent de faire un travail pour eux à l'essai. Je promets de leur donner rapidement de mes nouvelles. Dehors, il pleut. J'ai le coeur qui bat à 100 à l'heure, et tout à coup, l'avenir ne me paraît plus aussi gris.