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Les quatre temps dans la pratique

Publié le 12 février 2012 par Ivan

Duel_au_sabre_de_bois.jpgLorsque l’on pratique les arts martiaux et que le corps reste occupé par la technique, il n’est pas toujours facile de conceptualiser ce que l’on réalise corporellement. Mais au moment où l’on passe du côté de l’enseignement, il est indispensable de faire ce travail. C’est en pensant aux enseignants d’aïkido que je commence cette nouvelle année 2012.

Dans la progression du pratiquant, arrive le moment où la technique, sa représentation physique, son exécution dans l’espace, ses subtilités sont à peu près acquise. Maintenant que cet outil est dans les mains du pratiquant, commence alors le long travaille du polissage, qui dure toute une vie.

La première étape est awase. En aïkido, mais aussi dans les autres voies martiales, le fait de travailler en harmonie avec son partenaire est fondamental. Prenons l’exemple d’une attaque au bokken bien connue comme shomen uchi. Celle-ci doit être lancée en même temps que son partenaire et les deux ken se rencontrent pile au milieu. En répétant sans cesse ce mouvement, l’on arrive peu à peu à ne plus savoir qui lance le mouvement le premier, ni qui l’arrête. Il ne faut pas chercher à devancer l’autre, à être plus fort ou à vouloir gagner. Rien que le fait d’oublier de vouloir dominer la personne que l’on a en face prend un temps considérable. L’intérêt de ce travail réside dans l’oubli de soi et l’harmonisation du geste avec le partenaire.

Kimusubi représente la seconde étape. Il s’agit ici de renforcer le lien énergétique (Ki) entre les deux partenaires. Littéralement, Ki est l’énergie, souffle vital ; Musu peut se traduire par créer, engendrer, produire, générer ; enfin « Bi » dans ce mot-ci sera proche de l’esprit, le pouvoir. La traduction serait « l’esprit d’unification des énergies », ce qui tend à donner dans le langage plus commun « nœud de l’énergie », expression utilisée sous la forme Ki no musubi en aïkido : relier les énergies, relier les centres, etc. Techniquement parlant, si l’on reprend l’exemple du ken, tori va sentir venir l’attaque de uke, plus qu’il ne la voit. Uke décidant du moment de celle-ci, va toujours avoir un petit temps d’avance et tori démarre un rien plus tard sa propre coupe. Pourtant, en renforçant son lien avec le partenaire, il saura arriver en même temps que lui malgré son handicap de départ. Mieux encore, il faut pouvoir prendre le centre de la ligne de coupe au moment de l’impact des deux ken, sans pousser, sans forcer. Cela se fait naturellement grâce au placement correct du corps. Cet exercice est vraiment difficile et demande quelques années de pratique pour être correctement réalisé. Si tori conserve le retard initial, il sera tranché. S’il est trop en avance, sa coupe sera peu efficace, car son mouvement risque de devenir visible. Trop peu de force, il ne prendra pas le centre. Top de force, uke rebondira sur l’impact pour effectuer une autre coupe. Le placement et la prise de centre nécessitent vitesse, précision, relâchement et instinct, afin de créer la surprise chez l’autre. Le but de Ki no musubi est de s’accorder instantanément à l’autre et de se libérer du temps dans un cadre technique restreint.

NishioKen

(Nishio senseï, couper le lien)

Une fois le lien créé avec son partenaire, il faut savoir le trancher. Couper le lien (je ne connais pas le terme exact, mais j’ai souvent entendu phonétiquement « ki asushi », quelqu’un pourrait-il m’aider ?) nécessite d’attendre le dernier moment pour sortir de la ligne de coupe, armer et couper. Il n’est plus l’heure de contrer l’attaque, juste de la laisser passer et de laisser son image se faire trancher à sa place. Ce niveau nécessite un grand calme intérieur et une excellente gestion de l’espace. Sortir trop tôt de la ligne et uke corrigera son mouvement. Sortir trop tard et la coupe vient frapper la tête. Bouger au bon moment mais trop loin et les distances faussent la réponse adéquate. Peu à peu l’on comprend que l’épaisseur d’un bokken est assez fine et qu’il n’est nul besoin de bouger plus que l’espace nécessaire pour le laisser passer. Le but ici est de calmer le pouls, se libérer des marges de sécurité et du temps tout en découvrant ses limites extrêmes que l’on cherche constamment à repousser.

zatoichi

(Zatoïchi, le chaos dans l'indicible)

Le quatrième temps dans la pratique correspondrait à un retour au principe premier, soit awase, mais enrichi des autres temps et expériences. Awase avec un grand A permet alors de créer une harmonie de tous les instants, de tous les espaces et de tous les détails techniques avec le partenaire. Le calme et la maîtrise absolue dans l’urgence permettent de laisser tomber la lame sur sa tête, sans retenue aucune de la part de uke. Lorsque le vent de la lame se fait sentir sur les cheveux, alors il est temps de réagir, sans sortir de la ligne, sans bouger, contrer l’attaque en un éclair et sur place. L’effet produit sur l’autre est déstabilisant, créant ainsi un sentiment de danger réel où tout est possible. C’est pourquoi ce niveau de awase est aussi surnommé « ran », le chaos. J’aime bien la définition qu’en faisait mon professeur de kenjutsu, Philippe Cocconi : « la confusion ou l’indicible. La confusion dans l’indicible ».


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