Pas question ici de jouer les érudits et de chercher dans la multiplication de l’offre musicale, l’atomisation du corps social ou que sais-je d’autre, les raisons de cette absence. Non, la crise réclame de l’action et, 2012 étant là, il est grand temps pour l’auteur de ces lignes de prendre ses responsabilités et de trouver à ce problème la solution que la France réclame à grands cris !
Pour ce faire, il apparait nécessaire de revenir sur les crises précédentes et de déterminer ce qui fait une bonne chanson de crise. On se limitera ici, pour des raisons de nationalisme évidentes, à l’étude de nos bonnes vieilles crises franchouillardes.
Commençons par la plus belle d’entre toutes, la révolution française. 1789, l’État est en faillite, les ébats du serrurier et de l’autrichienne n’amusent plus personne, les gabelous se font caillasser dans les villages et l’aristocratie se rebiffe contre l’absolutisme. Trois ans d’un joyeux bordel et quelques exécutions plus tard, Claude Joseph Rouget de Lisle met au jour le premier tube de crise de l’histoire ; la Marseillaise est née. Elle restera pendant treize longues années en haut du hit-parade, avant d’être sournoisement détrônée à Waterloo par la coalition des amoureux du classique. Une bonne chanson de crise est guerrière et lyrique.
Les allemands, qui ont toujours su faire bon usage des inventions françaises, retiennent la leçon. En 1870, c’est au son de la Chevauchée des Walkyries que Wagner et ses compatriotes viennent égorger nos fils et nos compagnes, sans se douter qu’ils précipiteront par là l’avènement d’un nouveau genre musical de crise. La chute du second empire laisse en effet la place libre à la gabegie communarde. Écrasée par Adolphe Thiers, la commune nous lèguera pourtant, grâce à l’intervention du chansonnier Eugène Pottier, un hymne qui donnait encore il y a peu leur saveur aux meetings d’Arlette Laguiller, L’Internationale. D’abord chantée sur l’air de La Marseillaise, il faudra tout de même attendre 1888 et le remix de Pierre Degeyter pour qu’elle connaisse le succès qu’on lui connait. À nouveau type de crise, nouveau son ; la bonne chanson de crise est sociale et idéologique.
Qualifiée de guerre civile mondiale de trente ans par certains historiens, la période 1914-1945, voit l’apogée de la chanson militaro-politique. C’est un constat, les charniers de la Somme ou d’Oradour-sur-Glane, loin de coller le bourdon à tout le monde, dopent la créativité de nos pousse-chanson nationaux. Dans les cabarets, on nous explique, leçon à méditer, qu’une mitrailleuse vaut bien une femme et la France découvre avec la TSF les joies de la guerre de fans. Les américano-russophiles écoutent à la BBC le Chant des Partisans pendant que les conservateurs à la francisque jurent fidélité au premier des vieux de France et à son tube Maréchal Nous Voilà. C’est l’équivalent dramatique d’une baston entre fans de Michael Jackson et de Johnny. On en retiendra tout de même une chose, une chanson de crise digne de ce nom doit être facile à retenir et pousser au clash.
Les années 50 et 60 signent l’avènement de la crise générationnelle. La jeunesse existe, elle a des idées bien à elle et elle le fait savoir aussi bien à coups de pavés qu’à grand renforts de chansonnettes. La jeunesse apprend même une grande leçon : si la musique ne changera pas le monde, elle peut y prétendre et, surtout, elle peut servir à emmerder ses parents. A défaut d’être reconnaissante, la jeunesse, à l’image du chanteur Antoine, est courageuse et militante ; elle refuse d’aller se faire couper les cheveux. A partir de ce moment là chaque génération voudra sa crise existentielle et, pour l’accompagner, sa propre bande originale. Punk, Grunge, Rap, Techno, la remise en cause de l’ordre parental sur fond de doute postmoderne devient le leitmotiv des jeunesses successives qui, après des années de sévices, ont définitivement perdu leur sang froid. La chanson de crise est jeune et identitaire.
Guerrière, lyrique, sociale, idéologique, facile à retenir, jeune et identitaire ; trouver un hymne contemporain dépositaire de tous ces attributs relève du défi. Difficile, il est vrai, de trouver une quelconque trace de lyrisme et d’esprit guerrier chez Mika ou Moussier Tombola. Inutile également de partir en quête d’idéologie du coté du Top 50, dont le représentant le plus engagé reste à ce jour Corneille. Je ne vois décidément qu’une chanson contemporaine susceptible de présenter tous ces attributs et de capturer l’essence de la crise qui nous occupe. Vindicative, emportée, emplie de la détresse sociale d’un homme, jeune et donc forcément un peu lol ; il s’agit, vous l’aviez surement deviné, du Restaurant de Francky Vincent. On était, au regard du panthéon musical des crises passées, en droit d’espérer mieux, c’est certain, mais inutile de s’en prendre à moi. On a les crises et les tubes qu’on mérite.
Antoine Derroja