Cet article est paru initialement sur lenouveleconomiste.fr, le mercredi 08 février 2012.
Le business model de Singapour.
Ma petite entreprise ne connaît pas la crise.
Par Laure de Charette.
“From third world to first”. La Cité-Etat affiche un bilan, une santé et une stabilité hors normes, grâce à un modèle politique, économique et social spécifique. Tout d’abord, elle a su, comme une entreprise, bénéficier d’une vision, adopter une stratégie, et trouver son positionnement, le tout en restant résolument tournée vers le futur. Et gérée, il faut bien le dire, d’une main de fer depuis un demi-siècle, au prix d’un pouvoir sans partage.
Lee Kuan Yew, le père fondateur, son fils, qui lui a succédé, et quelques talents, issus du privé ou des rangs de l’armée, ont fait part à la fois de rigueur, de constance et de pragmatisme. Les questionnements sur son modèle démocratique et social, bien évidemment, ne manquent pas, surtout vus d’Occident. Singapour force néanmoins l’admiration, ne serait-ce que par ses performances d’ensemble et l’ efficacité de son secteur public. Des délégations du monde entier viennent régulièrement observer son modèle, et s’inspirer de ses bonnes pratiques sur de multiples sujets. La France saura-t-elle en faire de même ?
Tandis que le monde occidental s’enfonce dans une grave crise politique, économique, financière et sociale, à l’autre bout du monde, un confetti connaît un dynamisme impressionnant. Singapour, Cité-Etat, – cinq millions d’habitants située au sud de la Malaisie – fait figure d’exception : ce pays développé, sans pétrole, au régime autoritaire affiche une croissance de 5,9% sur la période 2000-2008. Succès qui ne doit rien au hasard : il a été pensé, planifié et construit à l’instar de celui d’une entreprise, par ses responsables politiques aux faux airs de managers…
“Singapore is out” titre le 9 août 1965 le quotidien national The Straits Times, jour de la proclamation de l’indépendance forcée de Singapour, rejetée par la Malaisie. Sur les images d’époque, on voit Lee Kuan Yew, Premier ministre de ce qui n’est encore qu’un rocher couvert de jungle et infesté de moustiques, pleurer, dignement, en silence, en pleine conférence de presse. Celui qui deviendra le père fondateur de la Cité-Etat, son génie sans pitié, craint alors le pire : Singapour, seule, ne survivra pas. Dépourvu de matières premières, abandonné par les Britanniques, rejeté par son voisin malais, le pays affiche alors un PIB par habitant de 324 euros.
Un demi-siècle plus tard, il est largement supérieur à celui de la France : 45 000 euros. Ce n’est pas tout : le taux de chômage stagne à 2 %, le taux d’imposition reste faible (18 % pour les entreprises, 20 % pour les particuliers les plus aisés), tout comme la criminalité (650 crimes pour 100 000 habitants). La cohésion sociale existe, malgré la cohabitation de communautés chinoises, malaises et indiennes, aux religions, cultures et langues très différentes (les mariages mixtes représentent 20 % des unions).
Singapour possède le meilleur aéroport du monde selon les voyageurs, le port le plus dynamique après Shanghai, et devrait devenir l’an prochain la première place financière de la planète, devant la Suisse. Sa réputation de paradis fiscal, l’opacité financière qui en découle, attirent de nombreux capitaux… Elle peut en outre se targuer d’offrir une grande facilité à faire du “business”. Championne mondiale en la matière depuis des années, selon la Banque mondiale, en raison notamment d’une stabilité politique, d’une corruption quasi inexistante et d’une “rule of law” héritée des Britanniques, lui donnant une cohérence et une constance précieuses dans le milieu des affaires. 2010, Singapour défraye la chronique en affichant la plus forte croissance du monde (14,5 %).
D’après les chiffres détaillés, celle-ci est essentiellement le fruit du travail acharné de ses habitants, non du capital, “de la transpiration plus que de l’inspiration”, sourit un diplomate européen. Celle des Singapouriens – même s’ils souffrent d’un certain manque de productivité – mais aussi des étrangers – ils représentent plus d’un tiers de la population – et parmi eux, des ouvriers et des maids (domestiques) originaires notamment d’Inde, du Bengladesh et des Philippines qui s’épuisent sur les chantiers et dans les foyers.
Un Etat à moindre coût
Côté finances, les comptes ont viré au vert depuis belle lurette : Singapour possède des réserves très importantes (200 milliards d’euros en 2011), dont le président de la République est le garant du bon usage. Le pays n’a pas de dette publique extérieure depuis 1995, une gageure pour l’Occident surendetté ! Sur le plan domestique, il est endetté à hauteur de 90 % de son PIB, mais cette dette est en réalité fictive puisque les sommes engagées sont essentiellement investies dans le fonds de pension national “Central Provident Fund”, afin de financer les retraites. Le budget 2011 est à l’équilibre, comme les précédents.
La marche de l’Etat est à moindre coût : Singapour ne consacre que 19 % de son PIB au financement et à l’entretien de ses routes, hôpitaux, écoles, postes, administrations, etc. La Cité-Etat tourne avec 2 fonctionnaires pour 100 habitants, quand nous en avons besoin de quatre fois plus. Singapour dépense 3,3 % de son PIB dans son système éducatif, considéré par l’OCDE comme l’un des dix meilleurs du monde. En matière de santé, les dépenses y sont modérées (4 % du PIB), tandis que l’espérance de vie compte parmi les plus élevées de la planète.
Le système s’appuie sur un compte épargne-santé individuel, MediSave, couplé à une assurance-risque réservée aux maladies ou accidents graves, Medifund, ainsi qu’aux personnes aux bas revenus, Medishield. En revanche, en matière de défense, Singapour la paranoïaque ne lésine pas sur les moyens. Elle a dépensé en 2010 4,3 % de son PIB dans ce domaine, ce qui en fait le premier budget de l’Etat. Ilot le plus occidentalisé d’Asie du Sud-Est, une région identifiée comme une base arrière du terrorisme international, Singapour cultive un étrange sentiment de vulnérabilité. Si bien que chaque jeune homme doit effectuer son service militaire pendant deux ans, avant d’être rappelé sous les drapeaux pour des entraînements jusqu’à quarante jours par an, durant dix ans.
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