La voiture stoppa devant une chaumière.
Une jeune femme, Mme d’Hubières,
Était au volant :
-Oh ! regarde, Edmond,
Ces enfants
Sont-ils mignons
À grouiller comme ça
Dans la poussière !
L’homme ne répondit pas,
Habitué à ces éclats qui étaient un calvaire
Et un reproche pour lui.
La jeune femme reprit :
-Il faut que je les embrasse ! Oh !
Comme je voudrais en avoir, un petiot.
Elle courut aux enfants,
Prit un des deux derniers,
Celui des Tuvier,
Et l’enlevant
Dans ses bras,
Elle lui baisa
Les joues, les cheveux,
Les menottes qu’il agitait
Pour écourter
Ces mamours ennuyeux.
Elle revint une semaine plus tard,
Prit dans ses bras le moutard,
Bourra de douceurs,
Ses frères et sœurs
Et joua avec eux comme une gamine,
Tandis que son mari patientait
Dans le cabriolet.
Enfin
Elle revint,
Le sac rempli d’argent
Pour parler aux parents :
-Nous n’avons pas d’enfants.
On voudrait adopter votre petit dernier.
On vous servira des mensualités
De cent francs.
Et nous lui donnerons à sa majorité
Vingt mille francs.
-Vous voulez que j’vous l’vendions ?
Ah ! non. Ce s’rait une abomination.
-Il n’est pas à vous, cet autre petit ?
Le père Tuvier répondit :
-Il est aux voisins ; vous pouvez y aller
Si vous voulez.
Les d’Humières se rendirent alors
Chez les voisins, les Vallor.
Ils recommencèrent leurs propositions
Mais avec plus de précautions.
Les deux ruraux, très ébranlés, hésitèrent,
Se considérèrent,
Mais apprenant
Qu’ils auront cent francs,
Tous les mois, le paysan s’enquit :
-C’te rente, c’est du promis ?
M. d’Humières répondit :
-Mais certainement.
La fermière reprit :
-Cent francs,
C’est point suffisant.
Ça travaillera dans quéqu’z’ans, c’t’éfant.
I nous faut cent vingt francs.
Les d’Humières emportèrent Jean, le marmot
Comme on prend chez l’antiquaire un bibelot.
De leur porte alors,
Les Tuvier regardèrent
Les Vallor,
Et les agonisèrent d’ignominies,
Répétant que c’était
Une horreur, une saleté,
Une corromperie
De vendre son enfant :
-J’t’ai pas vendu, mé !
J’t’ai pas vendu, mon p’tiot, mé !
J’vends pas m’s éfants,
J’sieus pas riche, mais vends pas m’s’éfants !
Grâce aux mensualités
Les Vallor, eux, vivaient correctement
Tandis que les Tuvier restaient dans la pauvreté.
Le fils Tuvier prenait ses vingt ans
Quand il vit une après-midi
Un élégant dandy
Avec sa chaîne de montre en or
Entrer chez les Vallor.
Il harangua ses parents :
-Faut-il
Qu’vous ayez été imbéciles
Pour laisser prendre le p’tit aux Vallor.
-Nous voulions point abandonner not’ éfant
Pour de l’or.
-Des parents comme vous,
Ça fait l’malheur des éfants.
-Tuez-vous
Pour élever d’s éfants !
Le fils Tuvier reprit rudement :
-J’aimerais mieux n’être point né
Que d’être c’ que j’ suis, mé !
Quand tantôt j’ai vu Jean,
J’ m’ suis dit :
-V’là c’que j’ serais aujourd’hui.
Signé du pseudo : Lazard de Lavi
Déjà parus aux éditions Edifree :
Tome 1 (34 contes)
Tome 2 (40 contes)
Ce texte est un extrait du tome 3 (à paraitre prochainement)
Ce troisième volume aura pour titre : « 46 bonnes histoires d’après Maupassant »