Malheureusement Finette était beaucoup plus vive que le vieillissant Rodilard. Trois ou quatre fois il s’était mis à l’affût et avait bondi sur elle, comme elle passait devant la porte ;… prrtt ! la souris avait fait un saut de côté, pris ses pattes à son cou, et avait disparu.
Cette souris tournait à l’obsession. La pie Margot, la cuisinière, une bavarde s’il en fût, ne se faisait pas faute de se moquer de M. Rodilard, qui se laissait berner par une souris des rues.
Or, une après-midi que M. Rodilard faisait un somme dans son fauteuil, Finette risqua son museau dans la porte. Pour faire moins de bruit, elle avait enlevé ses chaussures.
« Il dort ! Ah ! enfin, je vais pouvoir me glisser dans la place ! »
Et, rasant le mur, elle s’engagea dans l’escalier des cuisines, le cœur battant, la moustache hérissée d’émotion. A la dernière marche, elle s’arrêta pour reprendre son souffle, et écouter un peu.
« Nul bruit ! Personne ! quelle chance ! »
Et elle entra. Aussitôt elle poussa un crie de joie :
« Oh ! bonheur. Ce coffre plein de légumes secs ! »
Et la souris, qui depuis plusieurs semaines faisait maigre chère, se disposa à sauter dans ce coffre d’abondance, parmi les haricots, les pois et les lentilles. Mais patratas ! le couvercle se rabattit sur elle avec fracas, et ses pattes de devant se trouvèrent pincées. Alors, levant ses yeux pleins de larmes, Finette reconnut, debout sur le coffre, Mme Margot, la cuisinière, dont le bec noir claquait de joie.
« Eh bien, vous voilà prise, voleuse, pirate ! glapissait la pie Margot. Je vous avais vue, par mon soupirail, pénétrer dans la maison et je me doutais bien que vous en vouliez à nos provisions. Ai-je eu raison de me cacher derrière ce coffre ? Ah ! vous aurez voir, vous allez voir ! »
Et dans sa hâte à appeler M. Rodilard, à lui conter en détail les péripéties de cette pie, avait su mener à bien, la bavarde descendit du coffre et sautilla aussi vite qu’elle put jusqu’à la port.
« Monsieur Rodilard, venez vite ! »
Mais Finette, maintenant que Margot ne pesait plus sur le couvercle, s’était empressée de retirer ses pattes et de s’enfuir.
Aussi la cuisinière fut bien surprise quand, voulant montrer sa victime à M. Rodilard, qui était descendu fort affairé, elle ne la trouva plus. Affolée, Finette tournait en rond autour de la cuisine ; et ce bientôt, à travers plats et casseroles, une course infernale.
Cependant Finette, avisant une conduite d’eau, s’y engouffra, laissant les bourreaux fort dépités, au milieu d’une cuisine mise à sac.
« C’est votre faute, madame Margot, cria Rodilard. Ayant une nouvelle à annoncer, vous n’avez pu tenir en place. Il fallait rester sur le coffre jusqu’à mon arrivée ! »
Et la discussion eût dégénéré en dispute, si le baron Le Paon, qui rentrait de promenade, n’était survenu.
« Quel vacarme ! dit-il, et que signifie ce pillage ?
- C’est une souris, monsieur, répondit Rodilard avec aplomb, que nous avons prise après une grande lutte et que j’ai croquée. »
Réponse dont Finette eût été fort surprise, car à ce même moment elle se retrouvait dans une cour, les pattes meurtries, mais bien vivante et toute heureuse que la nature ait fait les pies bavardes. Toutefois, convaincue que le métier de voleur était décidément trop dangereux, elle devint par la suite la plus honnête des souris.
Auteur inconnu - Publié en 1906